L’Audomarois veut dévoiler son joyau

Caché précieusement sous les toits de l’ancien hôtel de ville, le petit théâtre à l’italienne de Saint-Omer reprend peu à peu des couleurs. Sa redécouverte présage sa réhabilitation en vue d’une activité culturelle.

 « Balcon du théâtre ».
« Balcon du théâtre ».
CAPresse 2013

Des représentations ont ponctué le week-end de réouverture temporaire du théâtre.

La décision n’est pas totalement prise mais l’envie des élus et l’annonce énoncée par Bruno Magnier, maire de Saint-Omer et conseiller général, préfigure déjà le chantier : Saint-Omer veut rouvrir son théâtre à l’italienne. «Il faut savoir que Saint-Omer a 24 sites classés. On a un patrimoine d’une ville de 100 000 habitants alors que nous ne sommes que 16 000», a rappelé Bruno Magnier. Parmi ces 24 sites, le théâtre à l’italienne. Durant le week-end des 9 et 10 février derniers, la Ville a rouvert les portes du théâtre : la troupe de la Comédie de l’Aa a habité les lieux pour le plus grand plaisir des habitants, venus découvrir et redécouvrir ce lieu fermé il y a tout juste 40 ans pour raisons de sécurité. Une nouvelle association, appuyée par la mairie, a commencé à sensibiliser les publics et les partenaires potentiels qui devraient accompagner le projet de réhabilitation. «En 1986, il y a même eu un référendum pour ou contre la réouverture. Mais la question sous-entendait que les impôts allaient augmenter si la réponse était oui», se souvient un pilier de l’association. Le chantier est en effet conséquent : il faudra entre 4 et 5 millions d’euros pour assurer une jauge de 300 personnes assises. La Ville a d’ores et déjà programmé la réfection du toit qui laisse apparaître quelques fuites ; 800 000 euros sont inscrits au budget municipal pour ce début de chantier. Le reste ne pourra se faire qu’avec l’appui de l’Etat (via la DRAC), du Conseil régional, du Conseil général et de la communauté d’agglomération de Saint-Omer.

CAPresse 2013

Le théâtre à l’italienne est un des joyaux du pays d’art et d’histoire de l’Audomarois.

 

Une histoire qui bégaie. Le théâtre à l’italienne est l’un des joyaux du Pays de Saint-Omer. «Ce n’est pas particulièrement une rareté, tempère cependant Laurence Baudoux-Rousseau, maître de conférences en histoire de l’art à l’université d’Artois. Sa particularité selon moi est qu’il n’a pas de façade. C’est un théâtre caché.» Sa naissance prend forme avec l’édification de l’hôtel de ville dans les antiques halles du marché, il y a exactement deux siècles. A l’époque, l’architecte lillois François Verly révolutionne le bâtiment. «L’escalier principal est rejeté à l’arrière, à l’extrémité du passage central. A droite de celui-ci, l’espace entièrement rebâti accueille la halle au blé et les boucheries, vastes vaisseaux portés sur des piliers. A l’étage, côté place, sont assignées les fonctions administratives ; à droite, l’aile sud contiguë est destinée à recevoir, au-dessus des halles, une salle de spectacle sur deux niveaux, desservie par une galerie et plusieurs escaliers. Les plans sont complétés par une élévation de la façade occidentale, sur la place, que les refends du rez-de-chaussée et la superposition des ordres doriques et ioniques des étages ne suffisent pas à sauver de la monotonie. Deux fontaines adossées animent cette architecture néoclassique, austère et statique. Seule concession à la tradition régionale, le beffroi implanté à l’arrière, au-dessus de l’escalier, souligne l’axe central», racontent le maître de conférences et son ancien doctorant, Matthieu Fontaine, dans un livret publié pour l’occasion. Ce projet n’aboutira pas. Le suivant, si : l’architecte Pierre-Bernard Lefranc réalise là sa seule construction dans le Pas-de-Calais. Déjà, le budget (400 000 francs en 1832) est jugé hors de portée pour une ville de cette taille… La construction est différente du précédent projet. «Conçu en 1834 et commencé en 1835, le bâtiment est un parallélépipède à deux niveaux, renforcé aux angles par quatre pavillons et couronné d’une imposante toiture à quatre versants, sommée d’un clocheton tenant lieu de beffroi. Sa construction met en œuvre un unique module, le carré. Les quatre façades présentent une élévation quasiment identique : les cubes superposés de pavillons latéraux, légèrement saillants, calent le carré que forment les trois travées centrales.» Le bâtiment est curieux pour l’époque et les surprises continuent.

Pour commencer, une étude à tiroir.

«Au rez-de-chaussée comme à l’étage, une succession de grandes ouvertures en plein cintre allège la structure, magnifiée au second niveau, vers la place par un ordre de colonnes doriques, géminées aux angles, isolées au centre. Rien cependant n’atténue une impression de massivité austère, à laquelle la protubérance disgracieuse du dôme à pans, qui trahit l’emplacement du théâtre, ajoute un caractère d’étrangeté.» Inscrit à l’Inventaire des Monuments historiques, l’ensemble du bâtiment sera concerné par la réhabilitation. Le théâtre, posé sur les murs, sera le point d’orgue de la rénovation. Alain Gérard, président de l’association et ancien adjoint de Bruno Magnier, veille à ce que le théâtre reste «le plus possible dans son jus». La préservation de nombreux éléments et caractéristiques donnent de l’espoir aux promoteurs de la réouverture : baignoires, loges, balcons, poulailler, parterre, plafonds, décors en stuc, machinerie, vases de terre incrustés dans la maçonnerie pour l’acoustique… Une étude «à tiroir» va être lancée d’ici le printemps et fera le diagnostic complet de l’édifice. Ses résultats donneront une palette d’interventions possibles selon différents usages. Evidemment, une activité culturelle régulière va de soi. Mais le théâtre sera-t-il aussi le lieu des remises de médailles ou des prix d’excellence pour les élèves de l’agglomération ? Certains visiteurs du troisième âge s’en souviennent. Dans tous les cas de figure, l’aventure a repris. Le 4 mars, les élus et les membres de l’association seront à Versailles pour visiter le théâtre de la Reine, lui aussi de style italien, pour prendre conseil et avancer dans la faisabilité de leur projet. Pour une ouverture d’ici 2017 ?

CAPresse 2013

Laurence Baudoux-Rousseau, maître de conférences à l’université d’Artois, a tenu une conférence sur le théâtre le 9 février dernier à Saint-Omer.

 

Les théâtres à l’italienne

Le théâtre à l’italienne se développe entre les XVIIe et XIXe siècles dans toute l’Europe. Scène et salle prennent des configurations fixes (la première étant inclinée vers la seconde qui penche à rebours). Les décors sont fixes et mobiles. La machinerie se développe au fur et à mesure des évolutions techniques des époques. Ces théâtres accompagnent le développement de l’opéra à grand spectacle qui accueille un nombre toujours plus grand de spectateurs qui se répartissent par classes sociales : le parterre au peuple, les loges aux notables et aristocrates. La construction de ces théâtres se multiplie au XVIIIe siècle. «Réalisation tardive, le théâtre de Saint-Omer s’inscrit dans la lignée de ces théâtres à l’italienne dont la région a connu plusieurs exemples dès le XVIIIe siècle. Celui de Douai est parvenu en l’état tandis que celui d’Arras vient d’être transformé ; ceux de Lille, Cambrai et Valenciennes ont disparu», rappellent Laurence Baudoux-Rousseau et Matthieu Fontaine.