"L'acier a coulé dans nos veines", le requiem de la sidérurgie belge

Les sidérurgistes européens étaient dans la rue mercredi à Bruxelles, de nouveau inquiets pour leur avenir. Et dans les salles de cinéma, un documentaire retrace les combats de ces "soldats de l'acier" en Belgique, depuis les...

Des sidérurgistes participent à une manifestation pour la sauvegarde des emplois industriels en Europe le 5 février 2025 à Bruxelles © NICOLAS TUCAT
Des sidérurgistes participent à une manifestation pour la sauvegarde des emplois industriels en Europe le 5 février 2025 à Bruxelles © NICOLAS TUCAT

Les sidérurgistes européens étaient dans la rue mercredi à Bruxelles, de nouveau inquiets pour leur avenir. Et dans les salles de cinéma, un documentaire retrace les combats de ces "soldats de l'acier" en Belgique, depuis les grandes heures des années 60 jusqu'au déclin progressif.

"L'acier a coulé dans nos veines" raconte "sept décennies de la sidérurgie liégeoise du point du vue des travailleurs", explique le réalisateur Thierry Michel dans un entretien à l'AFP.

Sorti fin janvier, ce documentaire est diffusé en Belgique au moment où le secteur est plongé dans l'incertitude, plombé par les coûts de l'énergie et la concurrence chinoise. 

Si rien n'est fait, "tous les sites européens d'acier sont à risque" de fermeture en 2025, affirme le président d'ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle.

"Union européenne, réveille-toi !", "sauvez notre acier", pouvait-on lire sur les pancartes des sidérurgistes mercredi à Bruxelles.

La Commission européenne a promis dans les semaines ou les mois qui viennent un plan d'action pour "enrayer le décrochage industriel".

"Il y a une prise de conscience, mais est-ce que ce n'est pas tardif?", s'interroge Thierry Michel.

Son film, qui mêle interviews d'ouvriers sur fond noir et images d'archives, tourne au réquisitoire contre l'abandon de la filière acier en Wallonie.

C'est une "parabole sur la mondialisation et la marche du capital", estime le réalisateur de 72 ans, également célèbre pour ses documentaires sur la République démocratique du Congo.

En 1959, c'est en grande pompe qu'est inauguré un haut-fourneau dans le complexe industriel de Seraing, au bord de la Meuse dans l'est de la Belgique. Quatre ministres, ainsi que le prince - et futur roi - Albert viennent célébrer l'ouvrage de 72 mètres, capable de produire jusqu'à 1.500 tonnes de fonte par jour.

La période est à l'euphorie autour de l'emblématique entreprise John Cockerill: la sidérurgie liégeoise emploie à elle seule quelque 20.000 travailleurs, qui se relaient jour et nuit au milieu des étincelles.

Poussière, vacarme et chaleur, les conditions de travail sont épouvantables. "C'était sombre, il y avait du bruit partout, c'était le trou du diable", témoigne Axel Schorkops, l'un des ouvriers du film.

Les immigrés italiens, polonais et yougoslaves s'affairent aux côtés des Belges. Des sentiments fraternels s'installent dans la dureté du quotidien.

Thérapie de choc

"C'était nos outils, notre savoir-faire, notre vie. On se sentait un peu comme les mineurs. On sentait qu'on faisait un métier particulier", raconte Frédéric Gillot, délégué syndical.

Les nuages s'accumulent à partir du milieu des années 70. Le choc pétrolier est passé par là. Les dettes se multiplient, les plans de restructuration aussi.

Au début des années 80, le commissaire européen Etienne Davignon lance une thérapie de choc pour un "secteur en faillite": un système de quotas qui limite la production. 

Bruxelles explique vouloir éviter la guerre des prix, mais les plans Davignon ne passent pas chez les salariés, qui assistent médusés à la suppression de dizaines de milliers d'emplois à travers l'Europe. En 1982, la grande manifestation de Bruxelles tourne à l'affrontement avec les forces de l'ordre.

Première victime des restructurations en Belgique, un laminoir pourtant neuf, l'usine Valfil, doit fermer ses portes en 1984, seulement quatre ans après son inauguration. L'outil est racheté en pièces détachées par la Chine, qui le réinstallera près de Pékin.

Cockerill-Sambre passe aux mains du Français Usinor en 1998, puis fusionne avec des groupes espagnol et luxembourgeois pour devenir Arcelor trois ans plus tard. En 2006, viendra l'offre publique d'achat, hostile, du groupe indien Mittal.

La réouverture d'un haut-fourneau donne un espoir de courte durée aux salariés en 2008. Il referme ses portes quelques mois plus tard, puis ArcelorMittal annoncera la fin de la sidérurgie à chaud à Liège en octobre 2011.

Thierry Michel filme longuement la démolition d'un haut-fourneau de Seraing, cathédrale rouillée qui s'effondre.

Et son documentaire devient poignant lors des obsèques de l'ouvrier Alain Vigneron, qui se suicide en reprochant à Lakshmi Mittal, dans une lettre, de lui avoir "pris sa fierté"."Très affectée", la direction soulignera à l'époque l'accompagnement apporté à la famille. 

Actuellement, l'Union européenne érige la souveraineté industrielle en priorité. ArcelorMittal emploie 5.800 salariés en Belgique.

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