Jugée pour complicité de trafic de drogues, l'ex-maire de Canteleu se dit "détruite"

Elle voulait "changer la vie des gens", elle se retrouve aujourd'hui "détruite": jugée pour complicité de trafic de stupéfiants, l'ex-maire socialiste de la petite ville de Canteleu (Seine-Maritime) a douloureusement crié son innocence mercredi au tribunal de Bobigny, se décrivant en...

L'ex-maire de Canteleu Mélanie Boulanger arrive au tribunal de Bobigny, le 27 mai 2024 © Thomas SAMSON
L'ex-maire de Canteleu Mélanie Boulanger arrive au tribunal de Bobigny, le 27 mai 2024 © Thomas SAMSON

Elle voulait "changer la vie des gens", elle se retrouve aujourd'hui "détruite": jugée pour complicité de trafic de stupéfiants, l'ex-maire socialiste de la petite ville de Canteleu (Seine-Maritime) a douloureusement crié son innocence mercredi au tribunal de Bobigny, se décrivant en élue dépassée par le rapport de force du narcotrafic.

Chemisier blanc à fleurs violettes sur pantalon noir, Mélanie Boulanger, qui a démissionné "pour raisons de santé" en février du mandat de maire qu'elle occupait depuis 2014, se tient accablée à la barre du tribunal correctionnel, la voix blanche, l'échine courbée.

"Je suis détruite. Moi j'ai donné beaucoup, j'ai fait des choses que j'adorais, moi je voulais changer la vie des gens, je voulais l'améliorer. Je savais que je n'avais pas de baguette. Je n'avais que de l'énergie à donner, je l'ai donnée", explose en larmes l'ancienne tête de liste socialiste en Normandie aux régionales de 2021.

L'interrogatoire de la maire constitue le point d'orgue du procès d'un mois au tribunal de Bobigny de 18 prévenus en lien avec un important trafic de cocaïne, héroïne et cannabis basé à Canteleu, soupçonné d'être tenu par le redoutable clan Meziani. Une affaire éclairante sur l'emprise du trafic de stupéfiants à l'échelle d'une petite commune.

Figure du socialisme normand, Mélanie Boulanger, 47 ans, dément de tout son corps avoir fait pression sur les services de police pour qu'ils ne gênent pas les affaires de la famille Meziani, réputée pour faire régner la terreur dans cette ville populaire de 14.000 habitants.

"Je voulais vous dire mon innocence, car dans cette histoire je suis innocente. Je ne suis pas seulement innocente, je suis très, très loin des autres prévenus !", s'insurge Mélanie Boulanger, qui a ostensiblement montré son dégoût au moment de s'asseoir aux côtés des trafiquants de drogue présumés à l'ouverture du procès.

Dans la tenaille

Passée par plusieurs villes de la région de Rouen au cours de son ascension politique, cette fille d'élu, née dans la politique normande, s'enracine à Canteleu à partir de 2007. Dans cette commune parmi les plus pauvres de Normandie, elle est progressivement frappée par la présence visible du narcotrafic.

"J'ai travaillé dans une ville qui était un quartier difficile, Val-de-Reuil. Je voyais bien que ce qui se passait à Canteleu était beaucoup plus sérieux", raconte Mélanie Boulanger, carré blond et petites lunettes rondes. "Le trafic de stupéfiants était toujours au cœur des sujets qui étaient abordés à Canteleu".

À partir de 2015, "j'ai cette perception que quelque chose a tourné et prend beaucoup d'ampleur". En ville, la tension avec les trafiquants monte.

En 2017, l'aîné de la famille Meziani se présente dans son bureau à sa sortie de prison pour réclamer l'attribution d'un logement social. Face au refus de la maire, il la menace en lui indiquant connaître où elle vit et quelle école fréquente sa fille. Par peur de représailles, l'édile ne porte pas plainte.

"Faut quand même vivre avec ce poids-là. Je me suis dit +faut pas que je le raconte à mon mari+, parce que si je lui raconte ça il envoie à ma place ma lettre de démission. Et j'avais pas envie de démissionner", déclare Mélanie Boulanger, à fleur de peau, parfois tremblante à la barre.

Entre les récriminations des narcotrafiquants remontées par l'un de ses adjoints d'un côté et le refus de protection de la préfecture de l'autre, la maire se retrouve "dans la tenaille".

Témoin des difficultés de faire appliquer l'ordre dans certains quartiers de Canteleu: il ne faut pas plus de quelques heures pour qu'une nouvelle caméra de vidéosurveillance, installée un après-midi dans une cité hébergeant un point de deal, se retrouve détruite.

"Moi j'ai peur mais je m'en fous", lance Mélanie Boulanger à ses juges. "Ils peuvent me tuer en sortant, pourvu qu'ils s'en prennent pas à ma fille. Moi j'ai rien à perdre, j'ai été tellement salie !"

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