Joyaux latinos
Trois superbes romans venus d'Amérique du Sud confirment la formidable vitalité de la littérature du continent.
Mâchoires
Cet impressionnant thriller psychologique s'ouvre avec Fernanda, brillante lycéenne passionnée de littérature et de films d’horreur, qui se réveille ligotée dans une cabane perdue au milieu de la forêt équatorienne. Sa kidnappeuse, Miss Clara, est sa professeure de lettres, une femme hantée par le souvenir de sa mère et harcelée depuis des mois par ses élèves dans un établissement catholique de l’Opus Dei. Mais les raisons de cet enlèvement se révèlent bien plus retorses et surprenantes qu’une simple vengeance pour les humiliations subies. Un amour qui ne dit pas son nom, une trahison inespérée et les rites secrets d’une bande d’adolescentes intoxiquées par les creepypastas – ces histoires d’épouvante devenues virales sur Internet – composent la trame surprenante de ce roman autour des relations passionnelles entre mères et filles, entre enseignantes et élèves. Entremêlant pop culture et inspirations poétiques, Mónica Ojeda nous plonge avec voracité dans un monde féminin où les relations de pouvoir oscillent entre le danger, la violence et le désir.
Mâchoires de Mónica Ojeda (Editions Gallimard – Traduit de l'espagnol (Équateur) par Alba-Marina Escalón).
Ce n’est pas un fleuve
Ce roman kaléidoscope abolit les frontières entre rêve et réalité, délaissant une narration classique pour une suite de scènes où le lecteur doit rassembler le puzzle épars. Qui sont ainsi ces trois hommes sur un bateau qui se battent pendant des heures contre une raie géante qui vit dans le fleuve ? Dans l’île où ils campent, les habitants viennent les observer avec méfiance, des jeunes femmes curieuses s’approchent. Ils se savent étrangers mais ils restent près du fleuve, là où le père de l'un d'eux s'est noyé... A travers ce récit énigmatique mais prégnant, Selva Almada démystifie l’amitié masculine, sa violence, sa loyauté. Magnifié par une langue épurée mais poétique où les mots et les silences dessinent un espace mental, ce roman envoûtant est avant tout un superbe hymne à la nature, à la fois brutale et majestueuse, où le présent et le passé se confondent dans la torpeur d'une atmosphère onirique.
Ce n’est pas un fleuve de Selva Almada (Editions Métailié – Traduit de l'espagnol (Argentine) par Laura Alcoba).
Nos abîmes
Prix Alfaguara 2021 du meilleur roman de langue hispanique, Nos abîmes se déroule à Cali, grande métropole de Colombie, en 1983. Claudia, huit ans, est la fille unique d’un directeur de supermarché austère et d’une femme au foyer, plus jeune de vingt ans et d’une grande beauté. L'enfant adore sa mère, mais cet amour n’est pas réciproque. Sa mère n’aime pas non plus son mari, elle qui rêvait d’une vie glamour… Mais un jour, sa belle-soeur lui présente sa nouvelle conquête, Gonzalo, dont elle tombe immédiatement amoureuse. Sous les yeux de l’enfant, elle va entamer une relation cachée, vivre un amour impossible, puis sombrer dans une profonde dépression. Par compassion, son mari lui loue une maison dans les montagnes pour qu’elle se repose. Mais ce changement de décor pourra-t-il la sauver de son agonie ? Composé autour d'une trame classique, cet émouvant roman dont l’unique narratrice est une petite fille désemparée, brosse le portrait d’une famille brisée, explorant avec finesse les méandres intérieurs d'une mère amère et d'une femme tourmentée.
Nos abîmes de Pilar Quintana (Editions Calmann Lévy – Traduit de l’espagnol (Colombie) par Laurence Debril)