Constance Wattez, présidente du directoire de Sofipêche

«Je suis fière de me lever chaque matin en me disant que nous travaillons de très beaux produits»

À 33 ans, Constance Wattez est présidente du directoire de Sofipêche. Elle s’approche déjà d’une décennie dans le groupe familial, fondé par son arrière-grand-père. Issue de l’Institut supérieur du transport et de la logistique internationale (ISTL), la jeune femme s’inscrit dans le sillage de son père, Jacques.  

Constance Wattez, , présidente du directoire de Sofipêche.
Constance Wattez, , présidente du directoire de Sofipêche.

Sofipêche est un groupe familial, qui a fait sa place dans le Boulonnais de longue date. Votre père, Jacques Wattez, est une figure imposante dans le secteur de la pêche. Est-ce difficile d’être héritière, lorsque l’on a 33 ans et que l’on est une femme ?

CW. Depuis ma plus tendre enfance, j’entends parler de poisson et d’entreprise. Je suis tombée dedans quand j’étais petite, alors je ne me voyais pas faire autre chose qu’être là où je suis aujourd’hui (rires). Et ce n’est pas difficile, c’est génial ! Je suis fière de me lever chaque matin, en me disant que chez Sofipêche, nous travaillons de très beaux produits et que nous participons à nourrir les gens. Pour moi, c’est un métier qui a du sens. De plus, mon père me laisse beaucoup d’autonomie et me fait confiance. Je consacre tout mon temps à l’entreprise. C’est un sacrifice, mais aussi la liberté. C’est un choix que j’ai fait et je suis ravie d’être la quatrième génération dans le poisson.

Lorsque vous êtes arrivée à la tête de Sofipêche, qu’avez-vous pensé de la profession ? Que vouliez-vous en faire ?

En arrivant, j’ai trouvé que le métier était un peu archaïque. Le papier était encore beaucoup utilisé, le mot stratégie n’existait pas et nous vivions au jour le jour, un peu comme raisonnent les marins-pêcheurs : à la semaine. J’ai décidé, petit à petit, de donner un coup de neuf grâce aux compétences que j’ai acquises à l’école. Mais nous avons encore une barrière à lever. Nous vivons un peu en vase clos. Pourtant, je constate que la filière a besoin de s’unir, tant dans la chaîne de production que dans les familles de métiers.

L’activité est-elle plus simple aujourd’hui ? Quel avenir percevez-vous pour la profession ?

Avec la pression exercée par les ONG, la réglementation s’est durcie. D’une certaine manière, c’est bien, car aujourd’hui à Boulogne-sur-Mer nous connaissons l’origine et la fraîcheur des produits.ais d’un autre côté, beaucoup d’anciens du métier n’ont pas su suivre. Ceux qui continuent, ce sont les familles, les fils (et les filles !) de… Après, je remarque que de nombreux jeunes, comme moi, ont de l’envie et sont prêts à travailler dur et à se lever chaque matin pour leurs collaborateurs et leurs consommateurs. C’est pourquoi il faut que les entrepreneurs et les investisseurs pérennisent la filière pêche, en investissant dans nos armements, par exemple. Autre chose, je sens aussi que le partage des valeurs n’est pas juste, et c’est mon objectif de le rendre plus juste.

Quelles sont vos actions pour la filière ?

Nous avons développé un outil qui s'appelle Whatfish. C'est une application que l'on a créée avec Unipêche et qui est disponible en ligne. L'idée est de faire converger les intérêts des pêcheurs et des mareyeurs. On l'avait proposée à la Société d'exploitation des ports du Détroit. Mais ça n'avançait pas. Alors nous l'avons fait nous-mêmes. Et certains acteurs de la filière nous ont rejoints.

Le Brexit vous a impactés. Qu'en est-il aujourd'hui de votre activité de pêche ?

On attend... On a une licence pour l'un de nos bateaux. Mais ça ne dépend pas de nous, c'est aux politiques qu'il faut s'adresser. Notre message, c'est : 'que veulent-ils pour la pêche et la flotte française ?' On n’y voit pas forcément clair.

Et vous, quelles perspectives dessinez-vous pour le futur de la filière ?

La mer, notre terrain de jeu, se réduit peu à peu. Aujourd’hui, les pêcheurs font avec les aires marines sanctuarisées, les éoliennes et les quotas… Nous ne savons pas trop où nous allons. Notre gamme de produits ne change pas, mais elle s’adapte. Depuis deux ans, par exemple, nous trouvons du thon rouge à Boulogne-sur-Mer. De plus, nous observons une amélioration de la qualité. Nous en demandons plus aux bateaux, mais la marchandise est mieux payée. Un exemple. Pour l’encornet, nous demandons que les caisses soient composées ainsi : de la glace, le produit et une feuille de plastique. La qualité est meilleure et nous retirons une manipulation, ainsi le mareyeur va plus vite derrière. Certains d’entre eux se sont mis en libre-service et travaillent directement pour la grande distribution. Le risque, c’est aussi que les petites entreprises disparaissent. Enfin, il nous faut mieux communiquer. Les petits porte-monnaie doivent pouvoir manger des produits sains. J’aimerais que les Français mangent autre chose que du cabillaud, de la crevette et du saumon. Il y a tellement d’autres choses dans la mer...

Une personnalité qui vous inspire ?

Caroline Poissonnier, directrice générale du groupe Baudelet. Cette femme a le courage de faire changer le monde de l’entreprise en étant authentique et donc sans se cacher de ses faiblesses, de sa vulnérabilité. Elle représente un modèle humble de succès au féminin qui ose adapter l’entreprise familiale à sa personnalité et ses compétences pour y être à sa place, ainsi que dans la société. Chaque jour, elle a un impact positif qui a mené l’entreprise familiale à se développer dans quatre branches et à l’échelle nationale.

Un lieu favori ?

Sur la mer, car j’y ressens la quiétude d’être loin des appareils connectés, de pouvoir observer la nature face à qui nous sommes si petits. J’aime aussi cela car ce lieu offre le privilège de discussions coupées du temps et de l’espace - nos repères n’existent plus - où chacun prend le temps de s’écouter et apprécie le partage.

Un conseil pour de jeunes dirigeants ?

Ce qui compte, ce n’est pas le nombre de fois où l’on tombe ou quand on se trompe, mais le nombre de fois où l'on se relève. Dès lors qu’on est bien entouré, qu’on assume ses convictions et qu’on se sent aligné avec soi-même, la réussite viendra de sa persévérance et de toutes les ressources que l’on a déjà en soi.

Une holding solide

La Société de gestion et financière de pêche Sofipêche a été créée en 1989 par Jacques Wattez. Aujourd’hui, le groupe rassemble plusieurs entreprises présentent sur l’ensemble de la filière halieutique comme Eskimo (spécialiste du saumon, 18 millions d’euros de chiffre d'affaires), Vadet (filetage de poissons, 3,5 millions d’euros de chiffre d'affaires), Uni-Marée (mareyage et filetage de poissons blancs en France et en Italie, 8 millions d’euros), Armement Boulonnais (exploitant de bateaux de pêche, 2,4 millions d’euros) ou encore Appéti'Marine, récemment acquis à Dunkerque (fabrication de plats à base de poissons frais cuisinés, 10 millions d’euros). En tout, le groupe emploie 140 personnes.

En chiffres

- 36 ans d’existence 

- 13 000 tonnes de poisson débarquées chaque année

- 140 salariés

- 50 millions d'euros de chiffre d’affaires en 2021