Immigration: le RN, absent des négociations mais au centre du jeu, se sent "vainqueur"

Au centre du jeu sur la loi immigration tout en étant paradoxalement absent de ses négociations, le Rassemblement national estime être le "vainqueur idéologique" de la séquence et espère en tirer bénéfice dans sa...

Marine Le Pen et Sébastien Chenu sur les bancs de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2023 à Paris © Ludovic MARIN
Marine Le Pen et Sébastien Chenu sur les bancs de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2023 à Paris © Ludovic MARIN

Au centre du jeu sur la loi immigration tout en étant paradoxalement absent de ses négociations, le Rassemblement national estime être le "vainqueur idéologique" de la séquence et espère en tirer bénéfice dans sa quête de crédibilité vers l'exercice du pouvoir.

A l'écart pendant plusieurs jours des discussions âpres sur le compromis final, qui se sont déroulées entre la majorité et la droite, Marine Le Pen a réussi un coup spectaculaire mardi en annonçant que les députés RN voteraient pour le texte.

Alors que son poulain, Jordan Bardella, avait indiqué le matin même que ce serait un vote contre ou une abstention, la triple candidate à la présidentielle a pris au dépourvu le camp présidentiel. 

Paniquée à l'idée de voter sur un sujet comme l'immigration avec le RN, la majorité s'est contorsionnée pour inventer une parade: ne pas tenir compte des voix RN dans le décompte du vote.

Avec 349 voix contre 186, la loi a eu une majorité "sans les (88) voix du RN", a insisté mercredi Elisabeth Borne, dénonçant "une manoeuvre grossière" du RN qui "a fait le coucou dans notre texte". 

"Marine Le Pen vole notre victoire", s'est insurgé le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau, rappelant que le RN "a voté contre notre texte au Sénat", celui qui a servi de base au compromis final voté mardi.

Après avoir dit que "ce texte était inutile", "ils en vantent les vertus parce qu’ils se sont rendus compte que ce serait complètement incompris de leur électorat", a renchéri la secrétaire générale de LR Annie Genevard.  

Il n'empêche, en dépit de ces changements de pied successifs, Marine Le Pen est parvenue à se placer au centre du jeu comme elle l'avait déjà fait une semaine plus tôt à l'Assemblée en apportant un soutien décisif à la motion de la gauche de rejet du texte.

"Leur tactique, c'est d'être l'astre autour duquel tournent les autres", résume le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus.

Des responsables de la majorité ont ainsi justifié la nécessité d'un accord à tout prix avec LR par la peur d'ouvrir un boulevard à l'extrême droite en cas d'échec.

Plus de tabou

Au-delà de ce coup, Marine Le Pen s'est réjouie "d'une victoire idéologique du Rassemblement national".

"Il est inscrit maintenant dans cette loi la priorité nationale, c'est-à-dire l'avantage donné aux Français par rapport aux étrangers présents sur notre territoire dans l'accès à un certain nombre de prestations sociales", s'est-elle félicitée.

Elle fait référence aux délais de carence introduits pour les étrangers afin d'accéder à certaines prestations sociales, comme les allocations familiales et les aides personnalisées au logement.

Certes, "le texte reste très en retrait du programme du RN: immigration zéro, priorité nationale pour l'emploi et le logement...", rappelle M. Camus.

Mais "le bruit de fond imposé depuis des années par le RN commence à porter ses fruits auprès de LR qui n'a plus de tabou à justifier une rupture de l'égalité des droits", reconnaît-il.

Fort de ses scores dans les urnes et les sondages, le RN a "imposé aux autres formations politiques le terrain de la bataille", résume Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof.

Selon les sondages pour les élections européennes de juin 2024, la liste menée par Jordan Bardella, avec 27 à 30% des intentions de vote, a près de dix points d'avance sur la majorité alors que LR est donné à moins de 8%.

M. Camus ne croit guère que cette dynamique va être inversée par ce texte. 

"L'histoire électorale nous prouve que ça ne marche pas. LR va peut-être récupérer quelques électeurs partis chez Reconquête (le parti d'Eric Zemmour). Mais au RN, avant l'immigration, la première motivation du vote est le pouvoir d'achat. Et il y a aussi la dimension protestataire anti-élites et anti-européenne", souligne-t-il.

Pire, selon lui, les autres formations pourraient affaiblir leur crédibilité de "parti de gouvernement" par rapport au RN du fait du "spectacle donné ces derniers jours" et l'aveu "incroyable" qu'une partie du texte voté n'est probablement pas constitutionnelle.  

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