Bâtiment
« Il y a urgence », José Faucheux, président de la Capeb de l'Aisne
C’est une période tendue et compliquée pour les entreprises du bâtiment, qui malgré des carnets de commandes remplis, voient leur activité mise à mal en raison des pénuries de matériaux, de matières premières, et des problèmes récurrents de recrutements. Le point avec José Faucheux, président de la Capeb 02.
Picardie La Gazette : On le sait, le bâtiment traverse une période difficile, les entreprises de l’Aisne n’échappent malheureusement pas à la règle…
José Faucheux : Nous nous heurtons à d’énormes problèmes d’approvisionnement, la situation est encore pire que tout ce que l’on a pu connaître jusqu’ici. La vraie question, ce n’est pas de savoir pourquoi, mais comment résoudre ce problème… Il y a certainement aujourd’hui des décisions politiques fortes à prendre ! On a cassé le tissu industriel français, avec des composants et des matières premières fabriqués à l’étranger.
Je discutais récemment avec un tuilier de notre secteur géographique, à l’année, son contrat d’achat de gaz avoisine en temps normal 14 millions d’euros pour les 40 sites de production, en 2021, il a atteint les 58 millions d’euros. Et le négociant de l’Aisne, qui couvre aussi une partie du Nord, va satisfaire seulement 12% de ces clients, faute d’arrivage.
Il y a urgence. Il y a deux ans, nous mettions en place dans nos entreprises le protocole sanitaire, nos entreprises ont tourné au ralenti, avec une baisse de personnel et de production, et depuis six mois, nous sommes face à une hausse des prix et à des pénuries de matériaux dont on ne voit pas la fin…
La situation est très paradoxale, toutes les entreprises cherchent à être livrées et en parallèle elles n’ont jamais eu autant de stocks et se retrouvent à l’arrêt, faute de pouvoir terminer les chantiers.
Dans quel état d’esprit se trouvent les artisans ? Et quels sont les leviers actionnés par la Capeb 02 pour les épauler ?
Nos artisans sont moralement fatigués, et supportent mal cette situation. Ils sont pris entre le marteau et l’enclume. La Capeb 02 les accompagne au mieux, nous leur conseillons de ne pas attendre la dernière minute et de passer des commandes le plus en amont possible, de préparer les chantiers longtemps à l’avance, d’indiquer des révisions de prix et des clauses de validité très courtes (limitées à un mois) sur les devis, d’expliquer la situation aux clients - nous avons envoyé à nos adhérents un courrier qu’ils peuvent joindre au devis pour rappeler le contexte économique actuel. Nous faisons œuvre de pédagogie mais nos marges de manœuvre pour trouver des solutions se réduisent comme peau de chagrin.
Le problème des recrutements est en parallèle toujours aussi prégnant.
Du côté de la main d’œuvre, le tableau n’est effectivement guère mieux : entre les absences, les arrêts liés au Covid, les reconversions professionnelles… Ce sont autant de facteurs qui allongent les délais sur les chantiers. À la Capeb, nous multiplions les actions pour recruter et former les futurs collaborateurs, il y des manques criants de main d’œuvre sur certains métiers, très en tension, comme celui de couvreur, ce qui nous a amené à travailler, avec Pôle emploi, sur une action de formation territoriale à Château-Thierry, avec la mise en place d’une Préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC).
Nous avons également récemment signé une convention de partenariat, toujours avec Pôle emploi, pour accompagner de façon personnalisée les entreprises et identifier leurs besoins en compétences, lever les freins à l’embauche en rendant notamment les métiers attractifs, travailler sur la formation, trouver de nouveaux collaborateurs qui répondent vraiment à leurs besoins, sécuriser le parcours des demandeurs d’emploi ayant un projet de création ou reprise d’entreprise dans notre secteur. Ce qui compte pour nous, ce sont les savoir-être et la motivation. Il faut aussi que l’ensemble des organismes de formation jouent le jeu, tout le monde doit aller dans le même sens.
Quel bilan tirez-vous de tout ça ?
Si tout le monde crie haut et fort que la reprise économique est là, ce n’est pas vraiment la réalité du terrain et ce que vivent les artisans du bâtiment actuellement. À cela, plusieurs raisons : l’activité du secteur est fortement lié aux saisons, il y a eu les congés de fin d’année et nous sommes dans une année électorale.
La morosité ambiante n’aide pas non plus à investir et se lancer dans les travaux, de même que le pouvoir d’achat fortement mis à mal. Le risque, c’est de voir des entreprises dont le carnet de commandes est rempli, mettre la clé sous la porte, à cause de problèmes de trésorerie et d’approvisionnement de matériels. Nous espérons que la situation, fragile, va a minima se stabiliser, sans que les artisans n’aient de charge administratives supplémentaires à assumer.