Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat : «En période de crise, faisons plus confiance à nos terr…
Hervé Marseille est sénateur, président du groupe Union centriste du Sénat. Il se livre à un tour d’horizon complet des grands problèmes qu’affrontent aujourd’hui les Françaises et les Français, de la crise sanitaire aux mesures économiques prises par le Gouvernement, en passant par la situation dans le département dont il est l’élu.
Que pensez-vous, tout d’abord, de la situation actuelle dans notre pays ?
Hervé Marseille : Pour l’instant, nous sommes dans l’urgence face à une situation de crise sanitaire, mais dont les conséquences sont évidemment économiques, sociales et politiques. C’est donc un passage difficile pour notre pays et c’est un passage difficile pour les Françaises et les Français. Les libertés fondamentales sont nécessairement contrariées. Le confinement, on le comprend, entraîne beaucoup de contraintes, notamment de déplacement. Le télétravail est recommandé, on ne peut pas voyager à l’étranger et la liberté de croire, de se rendre dans les églises, les synagogues, les mosquées ou les temples, après avoir été interdit, est fortement limité… C’est une situation que les citoyens comprennent. Il y a, en revanche, des aspects qu’ils comprennent moins sur le plan économique, s’agissant notamment des commerces dits «non essentiels», restés longtemps fermés pendant le deuxième confinement. On va assister à une destruction massive de ces entreprises, notamment des cafés et des restaurants. Mon groupe souhaitait une approche plus sélective, plus territoriale des contraintes, en faisant la différence entre des grands centres urbains où la population est très dense, mais aussi des petites villes, les villages et des centres bourgs où les petits commerces, qui vivent déjà difficilement, auraient pu rouvrir en novembre, avec de la rigueur, des protections, dans le respect des gestes barrières, pour tenir compte de la situation sanitaire. Au Sénat, nous avions voté un amendement pour proposer que les préfets aient la responsabilité d’ouvrir des commerces après consultation des élus et des responsables de l’ARS. Cela n’a pas été pris en compte par le gouvernement et c’est dommage. Nous affrontons, par ailleurs, une crise sociale qui est la conséquence de la dégradation économique depuis le début de l’année, avec un chômage qui, évidemment, s’accroît considérablement. On parle d’une dizaine de millions de gens qui seraient tombés dans la précarité. C’est extrêmement préoccupant. Dans une société comme la nôtre, quand on voit ces chiffres-là, on peut légitimement être inquiet. Pour autant, le Gouvernement dépense beaucoup d’argent, apporte beaucoup d’aides, de contributions. Je crois qu’à un moment donné, au-delà de ces aides et de ces contributions, il faut aussi parler avec le cœur.
Il est absolument nécessaire de rétablir une vie économique normale, surtout pour certains secteurs qui ont été aidés. Au Sénat, votre groupe était d’accord avec l’Assemblée nationale sur la loi de finances rectificative qui a prévu un budget de 20 milliards d’aides directes. Est-ce la preuve que sur des sujets importants, vous travaillez de concert avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale ?
Nous essayons, sans être beaucoup écoutés. Le Gouvernement a tendance à prendre des décisions unilatérales. Beaucoup de pouvoir, beaucoup de compétences ont été transférés à l’exécutif, qui agit par ordonnances. Il devrait y avoir davantage de travail avec le Parlement et les corps intermédiaires, que ce soient les élus, que ce soient les représentants consulaires, que ce soit les syndicats, pour qu’il y ait une information partagée et une acceptabilité des décisions. Dès le mois de juillet, le Sénat a alerté le Gouvernement sur la nécessité de lancer un premier plan de relance. On nous a répondu «à la rentrée» et le plan de relance n’est toujours pas voté. D’ailleurs, il est dépassé parce qu’aujourd’hui, compte tenu du deuxième confinement et de ce que le Gouvernement est obligé de faire pour aider l’économie, il faut rebâtir un plan de relance plus adapté.
Nous allons à présent vers un déconfinement progressif. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il faut effectivement que ce nouveau déconfinement tire les enseignements du précédent, avec un atterrissage modéré et non toutes portes ouvertes, comme l’été dernier. Il est nécessaire d’avancer étape par étape. Nous devons également avoir un plan très charpenté concernant la vaccination. Il faudra savoir de quels vaccins et de combien de doses nous allons disposer et à quel rythme nous allons pouvoir les utiliser, parce qu’il y aura un problème de répartition, de logistique et d’organisation sur le territoire. Tout le monde va se précipiter pour être vacciné. Il faut en tenir compte dès maintenant et travailler avec la médecine libérale.
Le Sénat est-il informé de l’évolution de la situation par le ministère de la Santé ?
Nous avons très peu d’informations. Les informations dont nous disposons sont celles que le ministre veut bien nous donner quand il vient devant la commission des Affaires sociales du Sénat ou lors des questions au gouvernement, le mercredi après-midi. Pour le reste, comme tous les Français, nous sommes amenés à regarder la télévision !
On distribue des milliards d’aides, donc les budgets explosent. Alors, j’imagine que votre groupe au Sénat est très sollicité dans la définition juste de ces budgets ?
Pour l’instant, cet argent «magique» apporte des réponses immédiates à des questions économiques et humaines. Le chômage partiel est indemnisé, c’est important pour les familles. Le fait que les commerçants, les artisans, les chefs d’entreprise bénéficient d’aides pour leurs charges, pour leur loyer, pour leur activité, même si elles ne couvrent pas la totalité, loin s’en faut, de leurs besoins, leur permet d’attendre. Il faudra bien entendu rembourser ces aides considérables, sur une période excessivement longue, qui vont peser sur les générations futures. Il faudra donc qu’à un moment donné, on fasse les comptes et tout ça devra s’arrêter. On ne peut pas continuer à payer indéfiniment. Aujourd’hui, il y a une urgence, des besoins immédiats, mais il va falloir aussi remettre à flot la maison France. L’Europe nous a aidés, mais pour l’instant, c’est une affaire compliquée parce que sur les 100 milliards prévus dans plan de relance, on parle d’une quarantaine de milliards attendus de l’Europe qui ne sont toujours pas réglés.
Voyez-vous quand même avec un certain optimisme les fêtes de fin d’année. Beaucoup de gens souhaitent fêter Noël ensemble…
L’approche des fêtes de fin d’année est essentielle pour l’activité économique. On n’imaginait pas, dans notre pays, des villes et villages sans commerces. C’est un lien social, c’est une sécurité, c’est un lieu d’échanges. C’est aussi une période cruciale pour les hôteliers, pour les restaurateurs, pour les collectivités qui ont investi pour accueillir les vacanciers, à la montagne comme dans nos départements touristiques et territoires d’outre-mer. Sur ce point, nous sommes encore en attente des négociations en cours avec les professionnels car le président de la République a annoncé une réouverture qu’en janvier, ce qui est dramatique pour la saison d’hiver. Il faut également que les pratiquants aient la possibilité de fréquenter leur lieu de culte. Pour les catholiques, il est difficile d’imaginer cette fin d’année sans la messe de Noël. L’annonce de «30 personnes» maximum dans un lieu de culte pourrait être adaptée en fonction des situations sanitaires locales. Je suis convaincu que ces Églises sauraient s’organiser.
Les élections régionales et départementales arrivent… Jean-Louis Debré a rendu dernièrement un rapport qui préconise leur report en juin prochain. Trouvez-vous que ce serait une bonne décision ?
Oui, je pense que Jean-Louis Debré a fait un travail assez exhaustif et ses conclusions sont plutôt partagées par tous. Si, en raison de la situation, il faut décaler les élections départementales et régionales au mois de juin, il faut le faire. Le problème, c’est moins la date que la campagne, parce qu’aller voter, vous pouvez le faire de façon assez sécurisée. On va au supermarché, on emprunte le train ou le métro, on peut aller dans un bureau de vote où l’on fait attention aux gestes barrières. En revanche, c’est la campagne qui est plus difficile. Ce sera une campagne plus courte et les conditions seront différentes. Il va falloir, comme aux Municipales, faciliter le nombre de procurations. À la Commission des lois du Sénat, nous avons créé une mission d’information pour examiner la possibilité de revenir à un vote par correspondance, voire à un vote électronique. Mais ce n’est qu’une étude. Je ne pense pas qu’on soit prêt pour les élections de juin. Cela demande beaucoup de réflexion et peut-être faudra-t-il faire d’abord une expérimentation.
Ce vote par correspondance défraie la chronique aux États-Unis. Des lettres qui arrivent par dizaines de milliers. Est-on capable d’organiser ce type de vote en France ? Comment pourrait-on s’assurer de la régularité d’un tel vote ?
C’est la raison pour laquelle on va explorer le sujet pour regarder si c’est faisable. Aux États-Unis, c’est différent. Vous n’avez qu’un tour et le même jour, vous votez pour élire le président, le gouverneur, le maire, etc. Chez nous, il y a deux tours, sauf aux Européennes. Cela veut dire que pour le deuxième tour, vous ne connaissez les candidats que lorsqu’ils ont déposé leur candidature, c’est-à-dire le mardi soir, après le premier tour. Les bulletins sont imprimés le mercredi. Cela veut dire qu’entre le mercredi et le dimanche, il faudrait pouvoir envoyer des lettres. Beaucoup de votes risquent d’arriver après l’élection… Faut-il maintenir 15 jours entre les deux tours ? Il faut y réfléchir. En plus, le vote par correspondance a été supprimé en 1975 parce qu’il y avait beaucoup de fraudes. Aujourd’hui, les conditions sont-elles réunies pour organiser un vote par correspondance sans fraude ? Je ne le crois pas. Les mêmes raisons apportent les mêmes conséquences. C’est pour cela qu’il faut d’abord en sécuriser les modalités. Il y a également le problème de possibles pressions, familiales ou amicales sur des personnes fragiles. Dans l’isoloir, vous êtes seul et vous votez en âme et conscience.
Propos recueillis par Boris STOYKOV (Affiches Parisiennes) pour Réso Hebdo Éco / https://reso-hebdo-eco.com/.