Tribunal de commerce
Hauts-de-France : un Congrès régional des juges consulaires de France tourné vers le social
Lors du congrès Hauts-de-France des juges consulaires de France de la huitième délégation régionale organisé par le tribunal de commerce de Compiègne, les 7 et 8 juin derniers, deux thèmes phares ont été abordés : la conciliation et le nouveau statut de l'entrepreneur individuel. Si le premier sujet est connu mais encore peu utilisé, le second reste flou tant les cas particuliers sont nombreux rendant les jugements difficiles. C'était aussi un congrès tourné vers les réflexions communes et les enjeux qui se posent à l'heure actuelle, dans un contexte post-Covid qui laisse des traces économiques et sociales.
« La justice consulaire est une
justice de proximité, de compétence et de pragmatisme, c’est
aussi une justice en mouvement qui se trouve confrontée à la crise
économique et sociale, la dématérialisation des actes de commerce,
le développement des modes alternatifs de règlements des
différends, mais aussi la formation continue. » Voilà les
premiers mots de la présidente du tribunal de commerce de Compiègne,
Chantal Lenoir, aussi présidente de la huitième délégation
régionale des Juges consulaires de France, lors de l'ouverture du
congrès régional, organisé à Compiègne.
Des mots qui font sens tant le rôle de
ces juges demeurent avant tout social, au profit de l'intérêt
général. Mais ces juges sont aussi entourés, au quotidien, par les
professionnels de la justice. Greffiers, mandataires, administrateurs
judiciaires, avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes,
experts judiciaires, commissaires de justice… beaucoup d'entre eux
étaient présents dans le but de « nous remettre
régulièrement en question, à moderniser notre fonctionnement, mais
aussi à nous coordonner, et surtout à défendre nos valeurs de
bénévolat, de probité, d’impartialité, d’indépendance,
d’humanité », précise la présidente du TC de Compiègne.
La justice consulaire étant ancrée
dans l'actualité et la société, le président de la Conférence générale des juges consulaires de France, Michel Peslier, a rappelé
son désaccord avec le projet de loi d’orientation
et de programmation présenté par le ministre de la Justice, Éric
Dupond-Moretti, concernant la création d'un Tribunal des activités
économiques (TAE). « Cela ne
peut nous laisser sans réaction. Autant l’élargissement à titre
expérimental de la compétence de ces TAE dans le domaine des
procédures collectives et de prévention des acteurs économiques
qui relèvent jusqu’à présent des tribunaux judiciaires, tels que
les associations, professions libérales et agriculteurs, recueille
la faveur des juges consulaires, autant la perspective d’un
détachement de magistrats de carrière au sein des formations de
jugement du TAE, assimilée à une première étape d’un échevinage
non justifié, suscite un rejet absolu de notre part. L’échevinage
préconisée est frappé d’un "vice congénital", les
juges consulaires refusant la discrimination ainsi créée entre eux
et les magistrats de carrière, ces derniers ne pouvant admettre,
pour leur part, d’être l’égal ou l’assesseur du juge élu.
L’échec est donc écrit », précise-t-il.
L'entrepreneur individuel, entre justice sociale et difficultés d'application
Les juges consulaires sont désormais
confrontés au nouveau statut de l'entrepreneur individuel. En effet,
à la place de l'EIRL, un nouveau statut unique d’entrepreneur
individuel est entré en vigueur à compter du 15 mai 2022 pour toute
création d’entreprise individuelle, devenant automatique.
L’avantage principal réside dans le fait que le patrimoine
personnel de l’entrepreneur devient par défaut insaisissable par
les créanciers professionnels, alors que précédemment, seule sa
résidence principale était protégée. « C'est une bonne
nouvelle car cela permet de faire rebondir ces entrepreneurs, surtout
présents dans l'artisanat », a expliqué Patrick Rossi,
magistrat honoraire près de la Cour d’appel d’Amiens, venu
présenter ce statut lors du congrès.
Cependant, « c'est un texte
qui apporte des critiques et des réserves », selon le
magistrat honoraire. Si la réforme modifie le rôle du juge
consulaire, introduisant de fait un volet social dans le traitement
des défaillances, « il y a des cas atypiques qui pourraient
poser problème », continue-t-il. Pour lui, cette réforme
reste complexe et doit être revue, même si elle apporte des
améliorations. La séparation des patrimoines réside le cœur du
sujet et c'est tout le problème dans les décisions de justice. « Il
est impossible de savoir si il y a endettement sur le patrimoine
personnel, s'il y a une répartition claire sur les deux patrimoines
à l'ouverture des procédures, donne-t-il pour exemple. Et il
y a de très nombreux cas particuliers. » En somme, une
réforme qui avance sur le volet social mais qui laisse les juges
consulaires dans la perplexité.
La conciliation, une aide à l'amiable
Dans cette justice sociale et de proximité, la conciliation - qui fait partie des Modes alternatifs de règlement des différends, dits MARDS - désigne l'arrangement amiable, et confidentiel, de prévention des difficultés des entreprises mais peut-être également utilisée dans le cadre de procédures collectives. Il s'agit d'un mode alternatif, rapide et gratuit de règlement des litiges, lorsqu’il est assuré au tribunal de commerce, dont la nature ne nécessite pas l'engagement d'une procédure judiciaire. Pourtant, « les tribunaux de commerce constatent que la conciliation n’est pas assez souvent sollicitée par les entreprises lorsqu’elles sont en difficulté », note Catherine Marchal Gralitzer, enseignante à l’École de droit de la Sorbonne et ancienne collaboratrice de Me Bourbouloux puis banquier d'affaires, spécialisée en montages de financement, venue elle aussi apporter son expertise.
Mais les causes de cette sous-utilisation ne sont pas toutes à rechercher chez les dirigeants d’entreprises mais aussi chez leurs conseils et dans les tribunaux, en particulier lorsque les entreprises sont entendues dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises. « Nous devons être conscients du rôle crucial du juge consulaire dans notre société. Nous sommes les garants de la justice économique et sociale, nous assurons la protection des entreprises et des commerçants, mais également nos favorisons le développement économique de notre région, a exprimé Chantal Lenoir. Acteurs de la prévention des difficultés des entreprises, nous sommes souvent confrontés à des situations complexes, il nous faut faire preuve de sagesse, de bienveillance et de discernement, afin de rendre des décisions justes. »
Fort de ses échanges tournés autour de l'humain, ce congrès régional précède le Congrès national des juges consulaires de France, qui sera organisé en novembre, toujours à Compiègne.