Génocide des Tutsi: 30 ans de prison requis à Paris contre un ex-médecin rwandais

Une peine de trente ans de réclusion a été réclamée lundi contre l'ex-médecin rwandais Sosthène Munyemana, jugé devant la cour d'assises de Paris pour son éventuelle implication dans le génocide au...

L'ancien médecin rwandais, Sosthène Munyemana, arrive à la cour d'assises de Paris, accompagné de son avocate Me Florence Bourg, le 14 novembre 2023 © ALAIN JOCARD
L'ancien médecin rwandais, Sosthène Munyemana, arrive à la cour d'assises de Paris, accompagné de son avocate Me Florence Bourg, le 14 novembre 2023 © ALAIN JOCARD

Une peine de trente ans de réclusion a été réclamée lundi contre l'ex-médecin rwandais Sosthène Munyemana, jugé devant la cour d'assises de Paris pour son éventuelle implication dans le génocide au Rwanda en 1994, dans un réquisitoire implacable.

"La somme des choix de Sosthène Munyemana" entre avril et juin 1994, quand il a fui le Rwanda, "dessine les traits d'un génocidaire", a asséné l'accusation dans ce réquisitoire à deux voix, qui avait été entamé vendredi et a duré au total plus de sept heures.

Au cours de leur démonstration, les deux avocats généraux, Sophie Havard et Nicolas Peron, ont demandé à la cour de reconnaître l'accusé, aujourd'hui âgé de 68 ans et qui vit dans le sud-ouest de la France depuis septembre 1994, coupable de génocide, crimes contre l'humanité, participation à une entente en vue de la préparation de ces crimes, ainsi que pour complicité.

Rôle central

Pour eux, loin d'être le personnage qu'il a décrit en audience, "il savait, il a choisi d’apporter son concours au plan génocidaire, a choisi d’occuper un rôle central et incontournable dans ce dispositif".

Sosthène Munyemana est soupçonné d'avoir joué un rôle dans les massacres en signant une motion de soutien au gouvernement intérimaire institué après l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, qui a encouragé les tueries commises entre avril et juillet 1994, dans lesquelles plus de 800.000 personnes sont mortes. 

On lui reproche aussi d'avoir mis en place des barrières et des rondes à Tumba, dans la préfecture de Butare (sud du Rwanda), au cours desquelles des personnes ont été interpellées avant d'être tuées, et d'avoir détenu la clé d'un bureau de secteur où étaient enfermés des Tutsi avant leur exécution.

Tout au long des cinq semaines de débats devant la cour d'assises, Sosthène Munyemana n'a eu de cesse de contester ces accusations, affirmant avoir été un Hutu modéré qui avait au contraire tenté de "sauver" des Tutsi en leur offrant "refuge" dans le bureau de secteur. 

"C’est le lieu le plus exposé à Tumba, il n’y a aucun espoir d’y survivre en s’y cachant", a au contraire estimé Sophie Havard, décrivant cet endroit comme un "couloir de la mort".

L'ancien médecin a aussi affirmé avoir tardé à prendre conscience de la radicalisation de certains de ses amis, dont le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Jean Kambanda, condamné définitivement en 2000 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à la réclusion criminelle à perpétuité pour sa participation au génocide.

Intellectuel parfaitement éclairé

"Peut-on sérieusement croire l'accusé, un intellectuel parfaitement éclairé, lorsqu'il prétend que depuis Butare il n’a pas perçu la dérive génocidaire du gouvernement?", avait demandé vendredi la magistrate. "Il ne pouvait ignorer que l’Etat rwandais était devenu le meurtrier de sa population".

Pourtant, Sosthène Munyemana "n'a pas ménagé ses efforts pour tenter de convaincre (…) qu’il était un modéré avec une équation simple voire simpliste", a-t-elle observé. Il a affirmé avoir fait partie du Mouvement démocratique républicain, mais réfuté avoir adhéré à sa tendance extrémiste, "Hutu Power", évoquant avoir suivi une "troisième voie", favorable aux accords d'Arusha.

Cette troisième voie est "une chimère", a balayé la magistrate.

Nicolas Peron a jugé pour sa part que l'accusé n'avait fait l'objet d'"aucune forme de contrainte". Il "n'occupait aucune fonction officielle" et il aurait "pu ne prendre aucune part dans les massacres".

Au contraire, Sosthène Munyemana a fait le choix de "participer à la bascule du pays dans l'extrémisme, d'aider le gouvernement intérimaire à étendre les massacres dans la préfecture de Butare" et de "participer directement et activement dans le génocide sur le secteur de Tumba", selon l'accusation.

Et ce en raison de sa "fascination pour le pouvoir politique": "en se mettant au service du projet génocidaire, il espérait en tirer un profit personnel".

Les avocats de la défense doivent plaider dans l'après-midi. Le verdict est attendu mardi.

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