Brasserie

Gasper, une bière au pain pour « changer le monde à coup de pintes »

Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, Hugo Laudren, 28 ans, a lancé sa marque de bière, la Gasper, brassée à partir de pain invendu.

La Gasper a été créée en 2019. (@Alehteia Press/E. Castel)
La Gasper a été créée en 2019. (@Alehteia Press/E. Castel)

La Gasper est une blonde légère, avec un goût légèrement amer et fruité. Quand on y trempe les lèvres, impossible de déceler l’ingrédient qui en fait une bière engagée et anti-gaspillage. « On remplace 30% du malt par du pain invendu, récupéré dans les boulangeries à Amiens », détaille Hugo Laudren, 28 ans, à l’origine du projet. Et 30% de malt et d’orge en moins dans chaque bière, « c’est autant d’eau économisée pour faire pousser ces céréales ».

Comment lutter contre le gaspillage alimentaire, qui serait de 300 000 tonnes de pain jetées par an en France selon l’Ademe, sans être moralisateur ? Une partie de la réponse se trouve dans cette boisson, selon Hugo Laudren, qui imagine bien une bande d’amis dégustant sa bière autour d’un barbecue, et de se dire : « Tiens, je suis en train de changer le monde à coup de pintes ! ». Depuis 2019, 12 000 tranches de pain, qui devaient finir à la poubelle, ont ainsi été recyclées.

Dumpster diving au Canada

C’est au Canada, lors d’un stage à Montréal en 2017, que l’Amiénois découvre l’ampleur du gaspillage alimentaire. « Mon colocataire n’avait pas beaucoup d’argent donc il faisait du dumpster diving, il glanait de la nourriture dans les poubelles ». Le jeune homme l’accompagne, par curiosité. Il se retrouve face à des containers de magasins remplis de nourriture. « J’ai récolté de grands sacs de farine, plein de bagels, dont le rond n’était pas parfait, ou alors un peu trop cuits, ou datant de la veille, je me suis rendu compte du rôle des consommateurs dans ce gaspillage ».

De retour en France, Hugo Laudren passe son master en entreprenariat et innovation. Fermente alors l’idée de la Gasper. « La bière au pain est millénaire, et en Angleterre, une entreprise l’a beaucoup développée, je l’ai contactée, elle m’a encouragé à me lancer ». Hugo Laudren rencontre alors Julien Labesse, fondateur de la brasserie Ambiani à Amiens. « Il nous a fallu plusieurs mois pour trouver la bonne recette, les premiers tests étaient dégoûtants, on sentait beaucoup trop le goût du pain ! ». 

La recette affinée, la Gasper trouve des distributeurs à Amiens, des restaurants, des cavistes, le réseau des boutiques Trogneux, et récemment une boutique parisienne. Avec Julien Labesse, ils travaillent à élaborer deux nouvelles recettes en ce moment, pour élargir la gamme avec une IPA et une lager.

Rôle social

Mais l’entreprise a aussi un impact social. « Je collecte beaucoup de pain invendu, et je n’arrivais pas à tout utiliser. Alors plutôt que de le laisser moisir, j’ai fait appel à une association de réinsertion dans l’emploi, spécialisée dans le recyclage du pain ». Les femmes de l’association Cipres, basée à Beutin, dans le Pas-de-Calais, tranchent et déshydratent le pain pour le conserver plus longtemps et le transforment aussi en nourriture animale.

« Cela reste dans les Hauts-de-France », lance Hugo Laudren, qui essaye au maximum de privilégier le local et le Français. « On importe les capsules d’Italie, car il n’y a pas de fabricant en France et certains houblons spécifiques viennent d’Allemagne et d’Angleterre ». Les étiquettes elles, viennent de Normandie, en papier recyclé.

Hugo Laudren n’arrive pas encore à se dégager un vrai salaire, les confinements ne l’ont pas aidé, « j’ai beaucoup douté, mais je crois vraiment en ce que je fais, alors je continue, j’avance. L’objectif est de faire 6 000 litres cette année et de doubler l’année prochaine ».