Femmes, est-ce plus difficile d’entreprendre ?
Des enseignants-chercheurs de la Skema étudient depuis deux ans l’entrepreneuriat féminin et aboutissent à des conclusions qui recoupent les réalités de terrain.
Ce travail de recherche ne se veut pas exhaustif. Stéphanie Chasserio, enseignante-chercheuse de la Skema Business School, précise bien qu’elle travaille avec Corinne Poroli et Philippe Pailot “sur un échantillon de 41 femmes du Nord-Pas-de-Calais, avec un profil spécifique : diplômées, moyenne d’âge 42 ans, avec de belles situations professionnelles, qui, un jour, ont saisi l’opportunité de devenir chef d’entreprise tous secteurs confondus (BTP, industrie, service à la personne, crèche, communication, ressources humaines…)”. Mais les résultats sont déjà très intéressants.
Le premier constat est que ce genre d’étude est rare en France et n’a pas la cote. Nos chercheurs, même s’ils sont soutenus par la Skema, ont du mal à communiquer sur leurs résultats comme le regrette Stéphanie Chasserio : “C’est bien dommage car, en France, la façon dont on voit l’entrepreneuriat est encore très masculine. Etudier le comportement des femmes dans ce domaine permettrait de faire évoluer la vision de cette activité.” Eva Escandon, chef d’entreprise et présidente du réseau Femmes chefs d’entreprise (FCE) de la Côte d’Opale, fait le même constat au niveau du réseau consulaire : “On ne veut pas parler de l’entrepreneuriat féminin dans les chambres de commerce. Or, les femmes chefs d’entreprise rencontrent beaucoup d’obstacles, il leur faudrait des dispositions particulières.”
Freins au développement. Un des points noirs est par exemple l’accès au financement. “Il n’est pas rare que le banquier demande une caution du mari, ce qui est inacceptable. Souvent les femmes ont une mauvaise connaissance des modalités de financement des entreprises et ont tendance à être sous-financées. Elles veulent trop souvent se débrouiller par elles-mêmes”, explique Stéphanie Chasserio. Sentiment partagé par Chantal Sellier, déléguée régionale de l’association Forces femmes qui accompagne des créatrices de plus de 45 ans : “Elles parlent trop de leur projet au banquier avec leurs tripes alors qu’elles devraient s’appuyer sur des critères financiers.”
Les difficultés dépendent également du secteur d’activité. Dans une activité plus masculine – BTP, industrie… –, il est plus compliqué pour les femmes d’avoir une légitimité entrepreneuriale. “Les femmes vont alors se trouver des mentors pour se faire coacher. Elles sont extrêmement rigoureuses car aucune erreur ne leur est passée. A l’inverse, celles qui s’investissent dans des secteurs dits plus féminins (crèche, gastronomie, service à la personne…) doivent prouver auprès des partenaires financiers la légitimité de leur activité, leur capacité à générer du chiffre d’affaires et à être rentables”, précise Stéphanie Chasserio.
Enfin, l’environnement familial peut être un frein à l’entrepreneuriat comme le soulignent les chercheurs de la Skema : “Le non-soutien du conjoint est un facteur clé d’échec car, généralement, ce sont les femmes qui s’occupent des enfants et de la maison. Or, créer ou reprendre une entreprise est chronophage.” Pour Chantal Sellier, “les femmes qui s’occupent seules de leurs enfants hésitent à créer une entreprise ; c’est trop dur”.
Soutien. Face à ce parcours d’obstacles, les femmes déploient des stratégies pour réussir. Elles mettent tout en oeuvre pour professionnaliser au maximum leur nouvelle activité, sont super organisées pour assumer vie familiale et vie entrepreneuriale. Dans leur attitude, Stéphanie Chasserio constate également que certaines n’hésitent pas à se décrire dans des termes masculins, à investir les réseaux professionnels souvent trustés par les hommes. Elles intègrent également des réseaux de femmes pour faire du partage d’expériences et se former, concourent à des prix d’entrepreneuriat, participent à des congrès. Citons notamment le congrès national du réseau FCE du 11 au 14 octobre prochains à Dunkerque “qui sera ouvert à tous, hommes et femmes, adhérents et non-adhérents. Il s’agira de donner des pistes pour envisager l’avenir de nos entreprises avec enthousiasme et dynamisme, loin de la morosité ambiante”, précise Eva Escandon. Il existe même des fonds d’investissements, comme Women Equity for Growth, qui ne financent que les femmes chefs d’entreprises en croissance. Ce sont autant de leviers qui doivent permettre aux femmes de continuer à investir la voie de l’entrepreneuriat.