Fret transmanche
Face au Brexit, les ports régionaux se sont organisés
L’Institut Paris Région a publié une synthèse baptisée «Brexit : quels impacts sur le fret transmanche et sur l’axe Seine ?». Cette étude revient sur une année 2020 perturbée par le Brexit et par la crise sanitaire. L’occasion de faire le bilan dans les ports de Calais et Dunkerque, un an après le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.
La zone du détroit du Pas-de-Calais (Boulogne-sur-Mer, Calais, Dunkerque) est de loin la plus fréquentée dans le Nord de la France, car elle offre le passage navigable le plus court entre le continent européen et la Grande-Bretagne. Alors que le Brexit aurait pu être un grain de sable dans l’engrenage, les ports du Nord, où transitent quotidiennement des milliers de camions à destination et en provenance du Royaume-Uni, se sont préparés en amont à de possibles congestions générées par les nouvelles formalités aux frontières. À l’image du quatrième port français de marchandises, Calais.
Une adaptation post-Brexit
«Le Brexit n’est pas un problème puisque nous nous sommes préparés en amont. Lorsque la Grande-Bretagne a annoncé sa sortie le 19 mars, nous étions prêt, puis le 12 avril, puis le 30 octobre, témoigne Jean-Marc Puissesseau, président du port de Calais. La préparation a tellement été bien faite par la douane, la police et nous-mêmes que nous n’avons pas subi d’embouteillages ou de ralentissements des flux.»
En effet, pour maintenir la fluidité du passage portuaire, le port de Calais a aménagé des parkings supplémentaires et un schéma de circulation pour une meilleure lecture des itinéraires. Du côté de la douane, de la police aux frontières et des services vétérinaires comme sanitaires, c’est grâce au numérique que les échanges ont été simplifiés.
Ainsi, la douane française a développé une solution technologique innovante, nommée «frontière intelligente», permettant aux opérateurs d’automatiser le passage de la frontière par les poids lourds. Cette solution est basée sur l’anticipation des formalités en douane. «Le Brexit, c’est regrettable. Chacun doit déclarer ses papiers et ses biens, et cela représente une perte de temps pour les entreprises. Mais la seule influence que pourrait subir le port serait liée à la situation économique en Grande-Bretagne. Si l’économie de l’autre côté de la frontière baisse, forcément le transport baissera», ajoute Jean-Marc Puissessau.
De bons résultats et une envie de rester leader
Au niveau du port, il y a tout de même eu un temps d’adaptation puisque au début de l’année 2021, le trafic a été réduit de moitié du fait du sur-stockage effectué par les entreprises britanniques au dernier trimestre 2020. Cependant, quatre mois après le Brexit, selon le directeur interrégional de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) des Hauts-de-France, «le trafic avait retrouvé 90% de son niveau». Une affirmation qui se retrouve dans les chiffres du port de Calais. «A la fin novembre 2021, nous étions à 1,510 million de camions. Un chiffre très similaire à celui de 2020 qui était de 1,515 million», conclut le président du port. Au vu de ce bilan positif, le président entend bien rester leader sur le trafic transmanche.
De fait, le port a investi 860 millions d’euros (dont 270 millions d’euros de financement public) pour changer de dimension, avec la construction notamment de trois nouveaux postes d’accostage afin d’accueillir des ferries de plus de 200 mètres de long. Le Groupe Getlink, quant à lui, a construit un nouveau parking de 260 places et un bâtiment pour les formalités liées au passage de la frontière, pour un total de 47 millions d’euros. De plus, le port de Calais, contrairement aux autres ports du Nord, a la chance de jouir de deux terminaux d’autoroute ferroviaire, ce qui le rend d’autant plus attractif et compétitif. Le terminal VIIA, filiale de la SNCF, relie l’Espagne et l’Italie à la Grande-Bretagne. Le terminal de CargoBeamer offre une liaison Calais-Perpignan et une liaison Calais-Domodossola en Italie.
Les liaisons avec l’Irlande : nouvel enjeu
Mais l’évolution la plus marquante reste l’adaptabilité des armateurs. Des liaisons avec l’Irlande se sont mises en place afin de ne plus passer par la Grande-Bretagne et ainsi d’éviter les passages à la douane. C’est ce qui a notamment été observé au port de Dunkerque. «Nos lignes n’ont pas subi de grosses perturbations, mais il y a eu une réadaptation. L’économie portuaire a rebondi en faisant des volumes sur l’Irlande. Nous avons vu naître de nouvelles lignes, de nouveaux échanges», témoigne Franck Gonsse, patron des dockers. À titre d’exemple, la compagnie DFDS a mis en place une nouvelle liaison Dunkerque-Rosslare dès le 2 janvier. Trois navires sont à disposition pour réaliser six départs hebdomadaires, depuis chacun des deux ports.
Il est vrai que l’itinéraire direct revêt un nouvel intérêt, mais il n’est pas sans conséquences. Pour un voyage de Dunkerque à Rosslare, il faut compter 24 heures de navigation alors qu’en passant par le Royaume-Uni, seules 13 heures sont nécessaires, un problème pour les denrées périssables. Mais les ports s’adaptent : «Nous avons fait un terminal ferry supplémentaire sur le quai de la Lorraine. Nous y avons construit une zone de stockage pour les remorques et tracé des files d’attente. On est en train de travailler sur le port pour doubler notre capacité d’accueil au niveau de ferries. Le marché du conteneur s’est grandement développé», précise Franck Gonsse.
En effet, ce remaniement des lignes a attiré des compagnies qui n’avaient jusqu’alors aucune destination vers l’Irlande. Parmi elles, Containership, filiale de CMA-CGM, spécialisée dans le transport maritime de conteneurs, en a ouvert deux. Ainsi, une ligne Dunkerque-Cork a vu le jour en novembre 2020, suivie d’une ligne Dunkerque-Dublin. Ce service, assuré par un navire d’une capacité de 900 conteneurs, ne consiste, pour le moment, qu’en une liaison hebdomadaire.
Quelques chiffres
En 2017, le trafic transmanche entre la France et le Royaume-Uni représente 4,487 millions de camions et remorques, dont 63,5% empruntent les ferries, contre 36,5% pour le tunnel sous la Manche. Le port de Calais concentre 44,4% de ce fret maritime, et Dunkerque 13,6%. Caen (2,3%), Cherbourg (1,8%), Dieppe (1,6%), Le Havre (1,1%), Saint-Malo (0,3%) et Roscoff (0,2%) arrivent loin derrière. 80% des liaisons transmanche sont donc concentrées dans le détroit du Pas-de-Calais.