Tendances

Extension du domaine capitaliste : le Bitcoin

Malgré ses soubresauts, le Bitcoin continue à défrayer la chronique, d’autant plus qu’il a réussi à s’imposer comme monnaie officielle de certains États et à faire son entrée à Wall Street par la grande porte…

© Adobe Stock
© Adobe Stock

Lorsqu’il est question du Bitcoin, c’est avant tout son cours en dollar qui est mis en avant, trahissant d’emblée les intentions spéculatives de la majorité de ses utilisateurs. Et sur ce point, ils auront été servis, puisque le Bitcoin a connu une ascension fulgurante, passant de 25 000 dollars à près 48 000 en cinq mois ! Mais derrière ces chiffres se cachent une réalité socioéconomique peu réjouissante…

Le Bitcoin, un cryptoactif

Créé en 2009 par l’informaticien Satoshi Nakamoto, le Bitcoin est présenté comme une monnaie émise de pair-à-pair, non régulée par une Banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé et qui s’appuie sur des techniques de cryptographie. D’où sa qualification de cryptomonnaie. Le système Bitcoin repose sur une chaîne de blocs (blockchain), qui est un journal de transactions partagé et public, que tout utilisateur doit télécharger sur son ordinateur.

À première vue, le Bitcoin semble ainsi avoir certaines caractéristiques d’un système de paiement, mais l’impossibilité de l’utiliser pour comparer aisément les prix des produits et sa très grande volatilité n’en font à l’évidence pas une monnaie utilisable à grande échelle pour les échanges marchands. Ce d’autant plus que son offre fixe — 21 millions de bitcoins au maximum, 19,6 millions déjà émis au début de l’année 2024 — ne sera pas en mesure de répondre très longtemps à une augmentation soutenue de la demande. Chemin faisant, en fait de cryptomonnaie, le Bitcoin s’apparente davantage à un cryptoactif, c’est-à-dire un actif numérique, créé au moyen de technologies cryptographiques et qui, comme tout actif financier, est risqué. Contrairement aux valeurs mobilières, il n’existe ainsi d’ailleurs pas de Bourse officielle du Bitcoin qui aurait pour fonction de sécuriser les échanges et de s’assurer de l’identité des personnes effectuant une transaction.

Un cryptoactif comme monnaie officielle

Rattaché à ses origines à la mouvance libertaire/anarchiste (cypherpunks), qui cherchait à soustraire la monnaie des mains de l’État, le Bitcoin est très vite tombé entre les mains des capitalistes, qui n’ont depuis de cesse d’en étendre son champ d’utilisation dans le système monétaire et financier mondial. Cette quête a atteint son acmé avec la reconnaissance, en 2021, du Bitcoin comme monnaie officielle par le Salvador et, en 2022, par la République Centrafricaine. Au-delà du bilan extrêmement mitigé de cette légalisation — les habitants de ces deux pays préférant toujours largement le dollar ou le CFA —, celle-ci soulève d’importantes questions : quid de la souveraineté et du pilotage de la politique monétaire avec une monnaie privée ? Quid de la stabilité monétaire ? Consciente de ces menaces, la Chine a liquidé de façon communiste le problème, en interdisant tout simplement les cryptoactifs.

Par construction, une monnaie est une institution sociale assurant le bon fonctionnement économique, mais aussi social et politique d’une société. Or, comment voir dans le Bitcoin un commun monétaire, sachant que sa rareté et ses modalités décentralisées de fonctionnement en font nécessairement un outil de rivalité ? La propriété des bitcoins est d’ailleurs très concentrée entre les mains d’un petit nombre d’utilisateurs. Et le comportement de nombreux Américains, qui ont préféré placer une partie des aides versées par l’État sur leur portefeuille de bitcoins, dans l’espoir de s’enrichir à moindres frais, témoigne si besoin est du caractère d’abord spéculatif du Bitcoin. Quant à savoir ce que les bitcoins financent réellement et si l’objet de ces transactions est légal, ce sont là des questions ouvertes…

Enfin, il apparaît paradoxal de faire du Bitcoin une monnaie légale en pleine transition écologique/énergétique, puisque l’émission de bitcoins par « minage » nécessite des fermes d’ordinateurs hyperpuissants, consommant une énergie électrique formidable.

Le Bitcoin fait une entrée triomphale à Wall Street

Dernière reconnaissance du caractère financier spéculatif du Bitcoin, son entrée à Wall Street par la grande porte des ETF (fonds indiciels cotés). Le gendarme financier américain, la SEC (Securities and Exchange Commission) vient, en effet, d’approuver la commercialisation d’ETF Bitcoin Spot, qui sont des produits financiers répliquant l’évolution du Bitcoin et permettant ainsi aux souscripteurs (particuliers ou institutionnels) d’investir dans le Bitcoin, sans avoir besoin d’en détenir directement. Désormais, les grands noms de la gestion collective, comme BlackRock, s’engouffrent dans la brèche, ce qui augmente d’autant la demande de bitcoins pourtant plafonnée à 21 millions d’unités. Volatilité forte en perspective !

Gageons que les gendarmes financiers se doteront tous d’une réglementation à la hauteur de ces nouveaux enjeux, avant la prochaine crise des cryptoactifs (le scandale FTX est encore dans les mémoires), à l’instar du règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) qui, hélas, n’entrera en application qu’à partir de 2025 !