Eurotunnel tient ses câbles
Concessionnaire du tunnel sous la Manche, Eurotunnel a lancé à Folkestone, le 23 février dernier, un chantier particulier : deux sous-stations électriques qui doivent élargir la connectivité électrique de la Grande-Bretagne avec le Continent. Reportage sur la côte nord de l'Eurorégion.
Comment valoriser un équipement quasi unique en élargissant son secteur d’activité et instaurer une rente ?… Après l’expérience audacieuse et malheureuse du transport maritime (MyFerryLink), Groupe EuroTunnel (GET) s’apprête à connecter électriquement le Royaume-Uni au Continent, que le Brexit soit «hard ou «soft». Devant un parterre de personnalités françaises et anglaises, Jacques Gounon a dit sa «fierté de développer des possibilités électriques additionnelles pour 2 millions de foyers britanniques. C’est la meilleure manière d’agir après notre activité de trafic ferroviaire».
En 2011, le groupe franco-britannique crée une filiale, Eleclink, dirigée par le Britannique Steven Moore, qui met trois ans à obtenir ses autorisations réglementaires, dont une dérogation de la Commission européenne pour obtenir le statut de transporteur d’énergie (pour vingt-cinq ans). Les grands électriciens européens ne bougent pas. Le gouvernement britannique intègre ce projet dans son Plan national d’infrastructure, mais n’y mettra pas un penny comme l’a rappelé Jesse Norman, ministre de l’Industrie et de l’Energie. Le projet est ambitieux : 580 millions d’euros d’investissement, jusqu’à 100 personnes sur site au plus fort du chantier. Une quarantaine d’emplois seront ensuite nécessaires au fonctionnement. La mise en service est prévue début 2020.
Un chantier long mais rythmé. Cette nouvelle ligne transportera jusqu’à 1 000 MW et apprécie la capacité d’échange d’environ 30% entre les deux pays. À l’abri du vent, cette nouvelle interconnexion entre le Continent et l’Ile double les lignes sous-marines (France-GB et GB-Pays-Bas) dont les capacités sont de 3 000 MW. Le chantier se révèle technique et élastique : «Le trafic ne sera pas interrompu. Lors de nos maintenances techniques nocturnes du week-end, nous aurons 12 heures par semaine pour travailler», explique Yoann Boulogne, coordinateur du projet. Sous la tente qui jouxte les premiers travaux de terrassement, les invités se pressent pour voir un morceau de ce câble. En tout, la pose concerne 69 km de câble, en courant continu et alternatif. L’interconnexion s’affiche en vert : «aucune incidence sonore et effet vibratoire (…), émission électromagnétique négligeable, pas d’émission lumineuse» lit -on dans la documentation du nouvel énergéticien. Pas d’émission de CO2 non plus, à l’exception des machines du chantier et la mise en avant de la part de l’énergie verte (25%) produite par les Britanniques qui entament leur sortie tardive du charbon. Reste l’énergie bleu-blanc-rouge, fortement nucléarisée… Avec ses câbles, GET optimise son équipement et prend bel et bien le chemin d’une rente.
Une rente structurelle à suivre ? En effet, d’après la direction d’EuroTunnel, le modèle économique est «éprouvé. Afin de calculer les revenus potentiels d’Eleclink, une projection a été faite à partir des différents revenus de l’interconnexion IFA existante sur les dix dernières années. Cette estimation est fondée sur un taux de perte de capacité de 2,5% et un taux de disponibilité de 98%. Sur cette base, si Eleclink avait été opérationnelle entre 2006 et 2015, l’interconnexion aurait généré un chiffre d’affaires annuel moyen de 120 millions d’euros». Mieux : les charges fixes ne représenteraient, selon Jacques Gounon, qu’une quarantaine de millions d’euros… La seconde sous-station, côté France, prendra place en juillet 2019 à Peuplingues, à deux pas de la station RTE de Bonningues-les-Calais. Quand «le courant sera mis», les calculettes chaufferont !