Eurotunnel remonte à la surface
Le sort de la compagnie SeaFrance continue de mobiliser la région. Après sa mise en liquidation judiciaire le 9 janvier dernier, un liquidateur a été nommé pour la vente de ses actifs et le licenciement des 880 employés. Derrière le formalisme des procédures, acteurs publics et privés se positionnent.
Avec SeaFrance à la dérive, le Détroit n’était plus sillonné que par une seule compagnie ces derniers temps. Désormais, la compagnie qatarie P&O devra compter avec le retour de la concurrence.
Rentable selon le volume et le prix de la traversée, la ligne Calais-Douvres, exploitée jusqu’alors par SeaFrance, intéresse forcément les acteurs du transport. Deux perspectives s’ouvrent pour celle-ci : la première est 100% privée avec les armateurs DFDS et LDA ; la seconde, mixant un partenaire privé et des acteurs publics, se positionne sur un mieux-disant social quant à la reprise des salariés de SeaFrance. Le consortium DFDS/LDA tente de sortir de ses contradictions : l’offre déposée en novembre prévoyait la reprise de 460 salariés sur 880. Rejetée par le tribunal de commerce de Paris, elle n’a pas fait l’objet de modifications qui auraient pu l’améliorer avant d’être redéposée au tribunal en décembre. LDA/DFDS a en fait patienté, pariant sur la liquidation de la compagnie dont les bateaux étaient à l’arrêt depuis mi-novembre. Pari gagné le 9 janvier, malgré un dernier sursis donné aux promoteurs de la SCOP. Il ne lui restait plus qu’à s’imposer lors de la vente des actifs de l’ex-filiale de la SNCF. Le consortium pouvait même s’appuyer sur la préférence témoignée par les ministres en charge du dossier, comme Thierry Mariani qui s’était battu pour organiser (sans succès) une rencontre avec les leaders de la CFDT. Le consortium était bien parti pour faire une bonne affaire : des bateaux fortement dévalorisés (5, 10, 20, 50 millions d’euros ?) et une entrée sur la voie royale Calais-Douvres. L’opérateur danois exploite en effet la ligne Dunkerque- Douvres, moins rentable et moins fréquentée par les voyageurs.
Un coup de Trafalgar ? S’installer à Calais lui offrait donc de belles perspectives dans ces conditions. Mais Jacques Gounon, le PDG d’Eurotunnel, vient perturber le schéma du consortium. Transporteur ferroviaire et aménageur, le groupe francobritannique Eurotunnel a observé attentivement les divers rebondissements de “l’affaire” SeaFrance. Eurotunnel était engagé dans une guerre des prix avec les opérateurs maritimes, une concurrence qui lui a fait marquer des points en termes de parts de marché ces deux dernières années après l’incendie de 2008. La concurrence sur le Détroit a d’abord été préjudiciable à SeaFrance. Ses clients orientés vers P&O et Eurotunnel ont donné de l’appétit à ce dernier. La concurrence redoublerait si DFDS arrivait à Calais, avec des tarifs qui chuteraient après avoir augmenté suite à l’immobilisation des navires de SeaFrance. Cependant, si Eurotunnel réussit à s’imposer en rachetant trois bateaux et en les louant ensuite aux promoteurs de la SCOP – avec qui il travaille à l’élaboration d’un business plan –, pourra-t-on alors l’accuser d’être en position monopolistique… Apparemment, pas au sens strict car le gestionnaire du tunnel ne serait pas directement opérateur mais un simple loueur de bateaux.
Dans l’expectative. Les collectivités territoriales sont moins à l’oeuvre. Elles attendent de voir le calendrier que choisira le liquidateur pour la vente des restes de SeaFrance. Si le Conseil régional continue de soutenir les promoteurs de la SCOP, il pourrait entrer de manière minoritaire au capital d’une SEM dirigée par Eurotunnel dont l’objet sera donc de reprendre les navires. “S’il faut aller un peu plus loin que 11 millions d’euros, nous irons, a dit Daniel Percheron. Mais nous devons attendre de voir les prochains événements (…). Si c’est DFDS, nous en prendrons acte. Ce sera une affaire totalement privée.” Le liquidateur judiciaire devait venir à Calais pour rencontrer les salariés et intervenir lors d’un comité d’entreprise. Le dénouement n’est plus qu’une question de jours.