«Eurotunnel a les capacités de tenir le choc»

Philippe Vasseur vient de quitter le conseil d'administration de Getlink. Entretien autour de l'économie locale avec l'ancien ministre, président de Région et de la CCI Nord - Pas-de-Calais.

Pour Philippe Vasseur, qui vient de quitter le CA de Getlink : «avoir un port et un tunnel efficaces est une chance pour le territoire». © DR
Pour Philippe Vasseur, qui vient de quitter le CA de Getlink : «avoir un port et un tunnel efficaces est une chance pour le territoire». © DR

La Gazette : Vous avez passé douze ans dans le conseil d’administration d’une des entreprises emblématiques de la Côte d’Opale. Que retenez-vous de cette expérience ?

Philippe Vasseur : J’ai prolongé mon mandat un peu plus que je n’aurais dû, je n’avais pas prévu d’y passer autant de temps. Quand j’y suis entré, la société sortait de graves secousses. Il y avait des doutes quant à sa pérennité. Le conseil était présidé par Jacques Gounon, qui souhaitait une personne liée au territoire, avec un conseil diversifié. Je correspondais au profil. Au cours de ces douze années, nous avons assisté au redressement spectaculaire de l’entreprise.

Ce n’était pas gagné d’avance…
J’ai beaucoup d’admiration pour Jacques Gounon, qui a véritablement été l’homme de la situation. Ses premiers salaires ne correspondaient absolument pas au niveau de responsabilité qu’il avait au sein d’une entreprise aussi importante. C’était son engagement de départ. Les choses sont rentrées dans l’ordre au fur et à mesure, et il a pu avoir une rémunération un peu plus élevée. Par ailleurs, ce que j’ai vu dans l’évolution, c’est que le Conseil d’administration a été amené à s’ouvrir pour faire rentrer des administrateurs salariés. Ce sont des syndicalistes, mais qui ont le sens de l’entreprise. Je trouve que ça apportait beaucoup, ce sont des gens qui ont une attache territoriale et dont le destin est lié à l’entreprise. Aujourd’hui, l’entreprise est rentable et attractive – je parle de l’activité avant la crise de la Covid. Les investisseurs se manifestent.

Les turbulences pourraient revenir avec la crise sanitaire actuelle…
En ce qui concerne les problématiques sanitaires, c’est la même chose pour tous les secteurs, la grande distribution, le transport… C’est une catastrophe qui touche tout le monde. Dans le trafic transmanche, le tourisme est essentiellement composé de Britanniques qui voyagent vers la France (90% environ). Nous sommes donc dépendant de la gestion de la crise outre-Manche.

Il y a un autre enjeu pour Getlink : le Brexit arrive à grands pas. Comment s’y préparer ?
Beaucoup de questions se posent sur l’après-Brexit. Nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences. À mon avis, elles seront plus directes sur l’activité que celles liées à la Covid. Le Conseil d’administration a plutôt bien anticipé ces contraintes. Un certain nombre de décisions ont été prises, même si on ne peut pas se mettre à la place de Boris Johnson. Des contrôles supplémentaires pour permettre une plus grande fluidité, de nouveaux équipements… la situation a été gérée du mieux possible. S’il y a Brexit dur, il aura été anticipé dans de bonnes conditions. L’import-export ne va pas s’arrêter là. Toutefois, à partir du moment où les Britanniques sortent de l’Union européenne, la libre circulation des biens ne va pas s’effectuer de la même façon. J’ai connu, avant le Tunnel, une période où pour aller au Royaume-Uni, il fallait un passeport. On avait instauré des excursions pour la journée sans passeport, parce que les bateaux anglais débarquaient des contingents pour la journée. On avait déjà une circulation assez fluide, mais avec des droits de douane… Globalement, je dirais qu’aujourd’hui, Eurotunnel a les capacités de tenir le choc.

On connaît la concurrence assez rude que se mènent le port et le tunnel sous la Manche. Le Brexit va-t-il exacerber ces antagonismes ?
C’est une question prise en termes de concurrence entre les deux modes de transport qui aurait pu être jouée de façon plus complémentaire. Le monde économique de la région n’est pas suffisamment investi dans le Tunnel. D’autre part, il y a eu des jalousies. On peut dire que le port a bénéficié de subsides, pas le Tunnel, sauf de façon marginale sur des questions de sécurité. Il a toujours été question d’argent privé. Bien sûr, cela a généré des crispations. Globalement, Eurotunnel n’a pas coûté cher à l’État. On a la chance d’avoir un équipement unique, qui est longtemps resté unique au monde. Nous avons tous intérêt à avoir un port et un tunnel efficaces : c’est une chance pour le territoire.

“On a la chance d’avoir un équipement unique, longtemps resté unique au monde”, souligne Philippe Vasseur. © Jacky Lannoy-Eurotunnel


L’avantage compétitif d’Eurotunnel en temps de crise

Au mois de septembre, le Shuttle Freight a transporté 131 985 camions. «Une hausse de 2%» par rapport à la même période de l’année 2019, note l’entreprise. «Depuis le 1er janvier, plus de 1,03 million de camions ont traversé à bord de nos navettes.» De plus, l’entreprise tire son épingle du jeu pour ce qui concerne le tourisme, malgré la quatorzaine britannique à partir du 15 août pour les voyageurs qui revenaient de certains pays. Explication plausible, selon le groupe, concernant ces chiffres satisfaisants : «Le niveau de trafic élevé comparé à nos concurrents s’explique par l’avantage compétitif des navettes, notamment en termes sanitaires. Le Shuttle offre une expérience de voyage sans contact de bout en bout.»