Européennes : emploi, le débat oublié de la campagne

Alors que l’activité est en berne dans la zone euro, la création d’emplois reste dynamique, à tel point que les politiques visent désormais le plein emploi à grand renfort de réformes, dont le bien-fondé reste à démontrer…

(c) adobestock
(c) adobestock

Si la zone euro est pleine de paradoxes — sa création même étant par certains aspects paradoxale —, c’est bien en matière d’emploi qu’ils atteignent leur paroxysme. Qu’on en juge : tandis que le PIB corrigé des variations saisonnières n’a augmenté que de 0,4 % dans la zone euro et dans l’UE ce premier trimestre 2024 par rapport aux trois premiers mois de 2023, l’emploi a augmenté de 1,0 % dans la zone euro et de 0,7 % dans l’UE. Autrement dit, l’activité dans la zone euro est en berne depuis le début de la guerre en Ukraine, mais cela n’a pas empêché la création de près de 4 millions d’emplois sur la même période ! Mais derrière ces chiffres reluisants se cachent des réalités sociales qui le sont bien moins…

Taux de chômage et autres indicateurs bien orientés

Dans les débats politiques, l’emploi n’est généralement abordé que par le petit bout de la lorgnette, à savoir le taux de chômage, dont la baisse est quasi continue depuis trois ans. Mais comme toujours en Europe, même si la décrue est générale, les disparités demeurent importantes entre les pays membres : 3,2 % en Allemagne, 3,7 % aux Pays-Bas, 7,3 % en France, 10,8 % en Grèce, 11,7 % en Espagne… Quoi qu’il en soit, évoquer le chômage uniquement sous l’angle de son taux conduit à occulter toutes les questions de qualité de l’emploi, de stress et de déclassement professionnel, qui expliquent pourtant le malaise grandissant ressenti par les salariés et les coûts associés (humains et financiers) très élevés.

Pour analyser la situation sur le marché de l’emploi, il faut a minima s’intéresser au taux d’emploi — rapport du nombre de personnes en emploi à la population totale —, puisqu’il permet d’approcher globalement les questions d’entrée et de sortie du marché de l’emploi. Et pour l’instant, les planètes sont alignées dans la zone euro : taux de chômage en baisse, taux d’emploi en hausse !

Pas encore le plein emploi

Mais de là à dire que la zone euro est au plein emploi lorsque le taux de chômage avoisine les 5 %, il y a un pas de trop. Certes, de nombreuses offres d’emploi ne sont pas pourvues, mais qu’en est-il de leur nature et des conditions de travail afférentes ? Il faut admettre qu’il y a eu un avant et un après-Covid 19, la pandémie ayant rebattu l’ordre des priorités dans la vie des individus. De là découlent notamment les tensions, désormais structurelles, dans les métiers de l’hôtellerie-restauration. Et depuis quelque temps, c’est la main-d’œuvre qualifiée qui vient à manquer, soulevant l’épineuse question de l’immigration de travail.

Une politique (européenne ou nationale) de l’emploi pertinente ne se résume donc pas à offrir des ponts en or aux uns tout en négligeant les autres, mais consiste avant tout à rendre attractifs les territoires, les métiers et leurs conditions d’exercice. Anticipation et adaptation sont les maîtres-mots ! Les entreprises l’ont pour la plupart bien compris et n’hésitent pas à retenir leurs bons salariés, pas seulement les cadres. Hélas, le volume toujours trop élevé de contrats courts, précaires et mal rémunérés, fait du plein emploi une expression dépourvue de réalité concrète pour de nombreux travailleurs.

Productivité et démographie en berne

Assurément, le dynamisme actuel du marché de l’emploi doit beaucoup à la démographie, puisque le vieillissement de la population conduit à un recul de la population active dans de nombreux pays de la zone euro. D’où la possibilité de faire baisser le taux de chômage sans créer beaucoup d’emplois, contrairement à la situation qui prévalait dans les années 1980. À cela se conjugue une stagnation des gains de productivité dans la zone euro, et même une baisse marquée dans de nombreux pays tels que la France et l’Allemagne. Cela signifie que pour augmenter la production de biens et services, il faut davantage de main-d’œuvre. En termes équivalents, baisser le taux de chômage ne nécessite plus autant de croissance.

Le problème est qu’à long terme, si les gains de productivité ne retrouvent pas leur lustre d’antan, les augmentations de salaire et les créations d’emplois seront faibles. La baisse conjoncturelle du taux de chômage pourrait alors se payer très cher dans quelques années… Mais, la politique est trop souvent l’art de tirer profit des succès à court terme, sans se soucier réellement de l’horizon long. C’est ainsi qu’il faut comprendre les nombreuses réformes, tous pays confondus, de l’assurance chômage et du Code du travail. Censées libérer la « créativité », la « productivité » et les « énergies vives », ces réformes ne visent, au fond, qu’à réaliser des économies dans les dépenses publiques et à faire baisser temporairement le taux de chômage en remettant au travail, quelles qu’en soient les conditions, des personnes « réputées » ne pas vouloir travailler. Ce faisant, l’on suppose de façon absurde que le plein emploi est déjà atteint et que trouver un emploi décent n’est plus qu’une question de volonté individuelle, rendant caduque la politique économique.

Voilà encore un paradoxe !