Et si Google Books violait le droit d’auteur français ?

Pour la justice américaine, la mise à disposition des ouvrages numérisés via Google Books ne porte pas atteinte au droit d’auteur. Le géant américain, déjà dans le collimateur du Fisc et de la Cnil, pourrait-il obtenir, au regard du droit français, une décision aussi favorable ?

On se souvient que Google avait obtenu en février 2013 un accord signé sous l’oeil bienveillant de l’Elysée, avec les éditeurs de presse. Toutefois, les ambitions du géant américain sont, on le sait, beaucoup plus vastes et visent la constitution à terme d’une base de données mondiale, exploitée sur son site accessible à l’adresse books.google.com, offrant gratuitement aux internautes un accès à des ouvrages numérisés par ses soins.
La firme californienne a passé des accords avec certaines bibliothèques, en contrepartie de la possibilité laissée à ces dernières de bénéficier d’une copie des versions ainsi numérisées. Toutefois, la démarche qu’elle a initiée tend à l’universalité et ne semble devoir s’arrêter aux seuls accords négociés. à ce jour, Google aurait numérisé une vingtaine de millions d’ouvrages.
Dans ce contexte, la société a été assignée aux Etats-Unis, en 2005, par le syndicat des auteurs américains (Authors Guild), qui lui reprochait la numérisation sans leur autorisation de plusieurs millions d’ouvrages protégés par le droit d’auteur. En novembre 2013, le juge américain a considéré que le projet de numérisation représentait une utilisation équitable (“fair use”) ne violant pas les droits exclusifs reconnus aux auteurs. La question peut être posée sur la possibilité qu’aurait Google d’obtenir en France une décision aussi favorable.
Le droit de propriété incorporelle exclusif, reconnu à l’auteur en France, sur toute oeuvre de l’esprit (par exemple, les ouvrages littéraires) permet à celui-ci d’interdire toute reproduction de l’oeuvre consistant dans sa fixation matérielle, par tout procédé permettant de la communiquer au public. La technique de reproduction est indifférente et inclut toute opération de numérisation d’une oeuvre. Le fait que la reproduction soit réalisée sans but lucratif direct est également indifférent. De même, l’auteur est en droit d’interdire la représentation intégrale ou partielle de son oeuvre faite sans son consentement.
Dans ce contexte, la mise à disposition des ouvrages numérisés via Google Books constitue un acte de représentation susceptible d’engager, sur le terrain du droit français, la responsabilité du géant américain.
Quid des exceptions au droit d’auteur ? Toutefois, Google pourrait se prévaloir de certaines des exceptions au droit d’auteur consacré par le code de la propriété intellectuelle, à l’instar de la copie réservée à l’usage privé du copiste, souvent invoquée dans le domaine du “peer to peer”. Différentes exceptions sont prévues par l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle. Parmi celles-ci, les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ne semblent pouvoir être légitiment invoquées par Google, ni celle de copies privées citées précédemment.
L’exception de courte citation, admise par le législateur, sous réserve que soit indiqué clairement le nom de l’auteur et la source, ne paraît pas non plus pouvoir être mise en avant par Google, dès lors que des passages entiers des livres numérisés sont accessibles au public, voire parfois même les livres dans leur intégralité.
De même, en tout état de cause, l’ensemble des exceptions prévues par l’article précité du code de la propriété intellectuelle est conditionné à leur conformité au “test des trois étapes”, selon lequel ces exceptions ne peuvent porter ni atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. à cet égard, le juge a le pouvoir de rejeter le bénéfice d’une exception, qui serait invoquée par Google, en présence d’une exploitation anormale de l’oeuvre, non consentie par l’auteur et lui causant un préjudice injustifié résultant d’une mise à disposition gratuite de son oeuvre en dehors des circuits habituels de diffusion.
Il semble, en conséquence, que la décision de justice américaine en faveur de Google ne saurait, en l’état actuel du droit français, prospérer sur notre territoire.

Blandine POIDEVIN et Viviane GELLES, avocates