Éric Trappier, président de l’Union des industries et métiers et de la métallurgie : «Il est nécessaire que la France…
Porté à la présidence de l’UIMM le 15 avril dernier, Éric Trappier succède à Philippe Darmayan, qui était arrivé au terme de son mandat. La Métallurgie lui confie la responsabilité d’engager ses entreprises dans une dynamique de rebond, après la longue année d’incertitude engendrée par la crise sanitaire. Lui-même confronté au défi d’une économie mondiale bousculée par la covid, le patron de Dassault Aviation appelle ses troupes à l’optimisme sans relâcher les efforts pour autant.
Comment la métallurgie se porte-t-elle aujourd’hui ?
Elle
va plutôt bien. L’activité redémarre fortement dans quasiment
toutes les filières. Et même celles qui nous inquiétaient tout
particulièrement, à commencer par l’automobile et l’aéronautique,
semblent sur la bonne voie. La première doit cependant gérer un
problème d’approvisionnement en composants électroniques, qui
bride un peu la production. Elle doit aussi composer avec la
transition environnementale. On ne passe pas d’un moteur thermique
à un moteur électrique en un claquement de doigts et cela inquiète
naturellement une partie de nos adhérents, qui sont majoritairement
des sociétés investies dans le moteur thermique.
Le
cas de la filière aéronautique, que vous connaissez parfaitement,
est encore différent ?
La
filière aéronautique a en effet été lourdement touchée par cette
crise, avec une chute de son activité de l’ordre de 30 à 40%. Le
coup est rude, mais nous avons quelques signaux de reprise. C’est
notamment le cas pour les A320 dans la famille Airbus, pour les
business Jet de Dassault Aviation... J’ajoute que l’aviation
militaire s’est plutôt bien portée pendant cette période. Pour
toutes ces raisons, j’ai tendance à penser que nous avons laissé
derrière nous la période la plus complexe.
L’horizon s’est donc dégagé ?
Oui,
mais il faut rester prudent. La très forte demande qui s’exerce
sur les matériaux en raison de la reprise, notamment aux États-Unis,
mais aussi sur les composants électroniques, constitue un sujet de
préoccupation. La question de l’emploi est un autre point sur
lequel nous devons rester attentifs. C’est un paradoxe : nous
manquons de bras pour travailler dans nos entreprises, alors que la
France compte encore 2,5 millions de chômeurs.
Le manque d’attractivité de l’industrie vous inquiète ?
Il
m’interpelle en tout cas. Nous avons un gros travail d’information
à réaliser en direction des jeunes, des parents et des enseignants.
Il est incompréhensible que, pour le plus grand nombre, ils pensent
encore les métiers de l’industrie réservés aux élèves en
échec. Ce n’est pas le cas. Il y a de formidables parcours à
réaliser dans l’industrie. Et pour s’engager dans cette voie,
l’apprentissage et l’alternance sont des véhicules essentiels.
L’UIMM est depuis très longtemps mobilisée sur la formation. Je
rappelle que plus de 90% des jeunes qui passent par-là auront un
emploi en sortant de formation ; ce n’est pas anodin.
Au-delà de ces sujets d’inquiétude, s’ajoute celui du futur remboursement des aides gouvernementales. N’est-ce pas le principal défi qui attend les entreprises ?
Il
faut en effet être vigilant. Le «quoi qu’il en coûte» a été
salvateur au plus fort de la crise, mais il est logique de revenir
maintenant à des aides plus ciblées. Pour le moment, le
remboursement des PGE a été étalé et c’est une très bonne
chose. Mais plusieurs facteurs de tension vont se conjuguer à
l’avenir. Les remboursements des PGE tout d’abord. Mais aussi les
investissements que beaucoup d’entreprises ont engagé, notamment
dans le numérique, en bénéficiant des programmes de modernisation
mis en place par l’État, mais aussi en les autofinançant en
partie. Enfin, la reprise qui s’exerce et qu’il va falloir
financer également. Car c’est au moment où la production
redémarre qu’il y a un besoin de fonds de roulement. Ceci étant
dit, il faut vraiment prendre cette sortie de crise comme une
opportunité et s’adosser sur cet élan pour faire rebondir
l’industrie.
Justement quelles sont les clés pour favoriser ce rebond industriel ?
Nous
pouvons avoir une industrie forte grâce à l’innovation. Notre
tissu industriel est dense, innovant et propose des produits à forte
valeur ajoutée. C’est vrai dans l’automobile, dans
l’aéronautique... C’est pour cela qu’il est essentiel de
conserver des aides en faveur de l’innovation dans certains
secteurs. De la même manière, si nous voulons que la production
suive, il faudra aussi des aides à l’investissement. Sur tous ces
points, l’UIMM, en collaboration avec France Industrie et le Medef,
fera des propositions. Une année électorale se profile en 2022 et
les différents candidats devront se positionner sur le futur en
matière de compétitivité, de fiscalité, de charges sociales,
d’aides à l’investissement…
Que vous inspire le Plan d’investissement d’avenir ?
Sa
mise en place a été une très bonne initiative, mais il a été
construit avant la crise. Il doit donc évoluer pour faire face à la
période post-crise. Il faut notamment l’améliorer et le
simplifier. Trop de règles compliquées, trop de contraintes
administratives empêchent les entreprises de s’en saisir.
Notamment les PME. C’est un sujet central et l’UIMM jouera son
rôle, pour s’assurer qu’elles sont en mesure d’accéder
facilement à ces programmes, que ce soit au sein des filières ou en
direct. Il doit en aller de même pour la numérisation. L’industrie
4.0 va coûter cher, mais il faut absolument s’engager dans cette
voie. Enfin, quoi qu’en disent certains, il faut absolument
préserver le Crédit d’Impôt Recherche.
La «relocalisation» est devenu le maitre mot du discours politique depuis quelques années : est-ce aussi votre priorité ?
Je
suis de ceux qui pensent que l’on doit aider en premier lieu ceux
qui sont déjà «localisés». Ceux qui ont investi en France depuis
des décennies, ceux qui croient à la production française, ceux
qui sont fidèles à ce pays. Ensuite, il faut bien entendu favoriser
la relocalisation de l’innovation et de la production. Mais
relocaliser des secteurs dits stratégiques dans le cadre d’une
politique industrielle décidée par l’État n’a de sens que si
c’est durable. Et surtout, j’insiste, il ne faut pas que cela se
fasse au détriment de ceux qui sont déjà en France et qui se
battent tous les jours dans une compétition mondiale pour prolonger
leur développement et poursuivre leurs investissements.
Pour que la France reste une grande puissance industrielle ? L’est-elle encore d’ailleurs ?
Je
vais vous répondre d’une façon détournée, en affirmant qu’il
est nécessaire que la France reste une puissance industrielle. Notre
pays ne peut pas être simplement celui du tourisme. La France ne se
conçoit pas sans industrie. De l’aéronautique à l’automobile,
en passant par le nucléaire, le ferroviaire et la santé, nous avons
des fleurons mondiaux. Il serait totalement absurde de croire que le
déclin de l’industrie est inéluctable. Il faut absolument
renverser la vapeur et pour cela l’industrie doit être une
priorité nationale.
Propos recueillis par Jacques Donnay pour ResoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com