Environnement, travail forcé: l'UE impose un "devoir de vigilance" aux entreprises
Dommages environnementaux, violations des droits humains: l'UE est parvenue jeudi à un accord pour imposer aux entreprises un "devoir de vigilance" couvrant leur chaîne de production mondiale, une législation jugée...
Dommages environnementaux, violations des droits humains: l'UE est parvenue jeudi à un accord pour imposer aux entreprises un "devoir de vigilance" couvrant leur chaîne de production mondiale, une législation jugée "historique" malgré l'exemption concédée au secteur financier.
Dix ans après l'effondrement de l'usine textile Rana Plaza au Bangladesh, qui mettait en lumière l'absence de contrôle sur les conditions de travail dans les pays tiers, l'UE entend forcer les grandes entreprises à identifier et corriger les manquements dont elles sont responsables, y compris via leurs filiales et sous-traitants à l'étranger.
L'accord, conclu après une nuit d'âpres négociations entre Etats membres et eurodéputés, "constitue un progrès historique", a estimé l'eurodéputée socialiste néerlandaise Lara Wolters, rapporteure du texte.
"Que cet accord soit un hommage aux victimes du Rana Plaza, et un point de départ pour façonner l'économie du futur plaçant bien-être des personnes et de la planète avant les profits et le court-terme", a-t-elle souhaité.
Seules l'Allemagne et la France avaient jusque-là une législation comparable. "Cette avancée majeure (...) va permettre de tirer la mondialisation vers le haut sur le plan social et environnemental", a abondé Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement européen.
Les entreprises concernées seront juridiquement responsables des violations des droits humains et sociaux (travail des enfants, travail forcé, expropriations abusives, sécurité des bâtiments...) comme des dommages environnementaux (déforestation, émissions polluantes, gaspillage d'eau...).
Cela concerne principalement leur chaîne de production en amont, outre quelques activités ciblées en aval (distribution, recyclage).
Elles seront tenues d'identifier les atteintes ou les risques et d'y remédier, via des investissements, des obligations contractuelles imposées à leurs partenaires ou en aidant ces derniers à s'améliorer --et cesser leurs relations commerciales problématiques si cela s'avère nécessaire.
Banques exemptées
Le texte s'appliquera aux groupes comptant plus de 500 salariés et un chiffre d'affaires mondial net de 150 millions d'euros --ou, pour les firmes non européennes, de 300 millions d'euros générés dans l'UE.
Les eurodéputés voulaient inclure les entreprises dès 250 employés: ce sera seulement le cas si leurs revenus dépassent 40 millions d'euros et proviennent pour moitié de secteurs jugés à risque (textile, forêts, agriculture, minerais...).
Au total, au moins 13.000 entreprises européennes devraient être concernées. Mais faute de cibler les PME, "99% des entreprises sont épargnées, dans des secteurs où l'exploitation des travailleurs est endémique", regrette l'ONG Oxfam.
Surtout, contrairement à ce que réclamait le Parlement, les établissements financiers seront "temporairement exclus" du champ d'application du texte, même si une clause de révision prévoit un examen ultérieur pour leur éventuelle inclusion.
Une partie des Etats membres, emmenés par la France, défendait cette exemption au nom de "l'efficacité" et du risque d'entraver le crédit.
Lors des négociations entre Etats, Paris avait ainsi appelé à "traiter le secteur financier comme tous les autres secteurs", pour lesquels le devoir de vigilance s'applique aux fournisseurs en amont et non pas à leurs clients en aval.
Objectifs climatiques
Le texte impose aussi aux entreprises d'élaborer un plan de transition climatique, avec l'obligation pour les groupes dépassant 1.000 salariés de lier la rémunération variable des dirigeants au respect d'objectifs d'émissions de CO2.
Enfin, la législation prévoit un mécanisme de responsabilité civile lié au "devoir de vigilance" et un accès renforcé des victimes à la justice européenne.
En cas de manquements, les amendes encourues pourront représenter jusqu'à 5% du chiffre d'affaires net mondial, et les firmes risqueront l'exclusion des marchés publics européens.
"L'UE a adopté un texte révolutionnaire. Les plus grands pollueurs européens, y compris les grands groupes de combustibles fossiles, devront réduire leurs émissions", réagit Arianne Griffith, de l'ONG Global Witness, tout en jugeant "choquant" que les Etats aient "sabordé" l'inclusion des banques.
Même réaction mitigée de Nele Meyer, de l'European Coalition for Corporate Justice (ECCJ): "les victimes des abus des entreprises disposeront de voies appropriées pour demander justice, c'est une victoire significative", mais les banques sont exemptées malgré "leur rôle-moteur dans l'économie". "Le chemin contre l'impunité des entreprises n'est pas terminé", estime-t-elle.
"Seule lueur d'espoir: comme les grandes entreprises, les acteurs financiers devront adopter un plan de transition climatique. Mais il faudra de véritables contrôles sur ces plans et les moyens de mise en oeuvre. Sur ce point, tout reste à faire", complète Olivier Guérin, de Reclaim France.
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