Entre perspectives, attentes et propositions
Les entrepreneurs ont, pour la plupart, largement soutenu le candidat Macron. Qu’en est-il du président Macron ? Philippe Beuscart, vice-président de la CPME Nord (Confédération PME), et Frédéric Motte, président du Medef Hauts-de-France, reviennent sur ces premiers mois de présidence. Entretiens croisés.
La Gazette : Six mois sous l’ère Macron. Comment cette nouvelle présidence est-elle vécue par les entrepreneurs ?
Frédéric Motte : En France, le temps législatif est très long. Macron portait un message de réformes et met l’entreprise au cœur de son projet. On arrive à un moment de vérité avec justement une accélération et des recours aux ordonnances.
Philippe Beuscart : Pour l’instant, c’est un peu tôt pour noter des changements concrets. Il y a une sorte de flottement due à une nouvelle majorité qui n’a pas toujours de relais et qui a tendance à tenir des propos contradictoires. Cela dit, il n’y a toujours pas de programme et l’espoir que suscitait Macron commence à retomber.
Justement, des ordonnances seront prochainement présentées. Qu’attendez-vous de celles-ci ?
Frédéric Motte : Nous sommes favorables aux orientations proposées par le gouvernement sur l’articulation entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise. 96% des entreprises du privé n’ont pas de délégués syndicaux. Ce que nous demandons, c’est du pragmatisme et de l’efficacité. Les salariés sont les mieux placés pour discuter avec leur employeur. Mandater un syndicat qui ne connaît ni l’entreprise ni les salariés, c’est contre-productif.
Philippe Beuscart : Il faut des lois a minima à défaut de pouvoir s’adapter à toutes les entreprises et à tous les cas. Nous souhaitons également pouvoir discuter en direct avec nos salariés et non pas passer par une tierce personne catapultée chez nous.
L’allègement du Code du travail semble être une priorité. Pourquoi ?
Frédéric Motte : Nous avons besoin de souplesse pour pouvoir créer de l’emploi. La réforme du droit social est particulièrement attendue par les chefs d’entreprise. Le plafonnement des indemnités prudhommales est une mesure qui permettrait de sécuriser l’entreprise et les emplois. Aujourd’hui, un chef d’entreprise qui a un litige avec un de ses employés ne sait pas combien cela peut lui coûter. Des sociétés ont dû mettre la clé sous la porte pour cette raison.
Philippe Beuscart : Il est primordial d’alléger le carcan social de l’emploi, notamment en ce qui concerne les risques prudhommaux. Aujourd’hui, un chef d’entreprise a peur d’embaucher, ce n’est pas normal. En dehors des erreurs de recrutement, une entreprise qui licencie le fait parce qu’elle va mal. Or, pour pouvoir licencier, paradoxalement il faut de l’argent.
Faut-il revenir sur les 35 heures ?
Frédéric Motte : Pas un pays au monde nous a copié. Il faut quand même se poser des questions. Les 35 heures nous ont littéralement plombés. La France est le pays le moins libéral du monde occidental avec un taux de chômage et un déficit en hausse. Il est plus qu’urgent d’agir.
Philippe Beuscart : En France, on voudrait appliquer les mêmes obligations aux TPE/PME qu’à des groupes internationaux dont les rythmes, les besoins et les exigences diffèrent. On veut tout mettre dans une seule loi. Or, le boulanger, l’artisan, Peugeot ou Carrefour n’ont fondamentalement pas les mêmes besoins.
Des annonces ont été faites concernant la fiscalité. Qu’en pensez-vous ?
Frédéric Motte : Une première étape avait déjà été amorcée sous Hollande. Le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) a permis une réelle baisse de charges sur les salaires. Les entreprises ont ainsi retrouvé un peu de marge. Ces 40 milliards ne sont pas un cadeau fait aux entreprises. Cela a permis de créer de l’emploi. Mais nous avons besoin de lisibilité et de visibilité. Le problème, c’est que six mois après le CICE, il y a eu la pénibilité.
Philippe Beuscart : Nous attendons une pérennisation du CICE et un prélèvement à la source plutôt qu’une fois par an. Ce serait plus simple et les entreprises gagneraient en compétitivité et pourraient ainsi créer de l’emploi.
La fin du RSI est-elle une bonne nouvelle pour les entrepreneurs ?
Frédéric Motte : Les indépendants qui cotisent pour le RSI cotisent moins que les salariés du régime général. Certes, la machine RSI ne fonctionnait pas. Mais que va-t-on faire ? Augmenter les cotisations des indépendants pour s’aligner sur celles des salariés ?
Philippe Beuscart : Cette annonce est très dangereuse, car on supprime un régime spécial pour le mettre dans le régime commun. Cela représente une hausse de 15 à 20% de charges.
Et celle des contrats aidés ?
Frédéric Motte : Ce sont des contrats principalement utilisés dans le monde associatif et dans les collectivités. Ils sont perçus comme des voies de garage destinées à faire baisser le chômage, même s’ils ont permis de faire un peu de formation.
Philippe Beuscart : On ne sait même plus ce qu’englobaient ces contrats aidés. Quand un dispositif ne fonctionne pas, il faut savoir l’arrêter.
Comment percevez-vous l’idée d’une assurance chômage universelle ?
Frédéric Motte : Elle ne nous réjouit pas. C’est une cotisation des entreprises. Si elle doit devenir universelle, ce n’est plus une assurance mais une taxe de solidarité. Dans ce cas, nous posons la question : pourquoi les entreprises doivent-elles payer pour tout le monde ? Nous sommes dans le même cas de figure que pour le statut d’intermittent qui est devenu un complément de revenus.
Philippe Beuscart : Une assurance chômage plafonnée n’est absolument pas intéressante pour un chef d’entreprise qui aura, par conséquent, cotisé plus que ce à quoi il peut prétendre.
Quel axe vous paraît le plus important aujourd’hui ?
Frédéric Motte : Les chiffres concernant l’exportation représentent un déficit colossal. Les charges, trop élevées, nous empêchent d’être compétitifs. Ce que nous demandons, c’est de faire confiance aux hommes et aux femmes qui veulent entreprendre et créer de l’emploi. Notre finalité est là.
Philippe Beuscart : Si on veut exporter, on doit pouvoir monter en gamme. Et cela n’est possible que si les charges baissent. En France, le coût du travail est élevé. Lorsqu’on exporte, on est plus chers que nos voisins, donc moins intéressants. Pour trouver un équilibre, nous devons faire preuve de créativité pour apporter une vraie valeur ajoutée. Une baisse des charges permet de miser sur la formation et sur l’innovation.
Le climat est-il aujourd’hui plus favorable à la création d’entreprise ?
Frédéric Motte : Lors du mandat précédent, l’entrepreneur était pointé du doigt, originaire de tous les maux. Aujourd’hui, il y a un état de grâce. Sur le plan international, le climat des affaires est plutôt positif. Cela s’apprécie au niveau des carnets des commandes. Et les taux d’intérêt bancaire sont intéressants. Il y a donc une conjonction favorable des planètes, mais cela pourrait s’assombrir selon les directions que vont prendre les réformes et les revendications syndicales à venir.
Philippe Beuscart : Il faudra regarder les conséquences de l’augmentation de la CSG. Aujourd’hui, clairement, elle entraîne une baisse de rémunération des entrepreneurs. Nous ne sommes plus dans la phase de séduction avec le candidat Macron. Aujourd’hui, il y a une sorte de désillusion avec le président Macron. Nous demandons plus de liberté pour entreprendre, créer et générer de l’emploi. Les semaines et mois à venir seront déterminants. Attention maintenant à ne pas envoyer de signaux négatifs comme la privatisation de STX.