Entre Bercy et le ministère du Travail, "deux salles, deux ambiances"

"Il faut écouter qui? On est complètement perdus": face à un ministre de l'Economie qui multiplie les interventions fracassantes sur le thème du travail, et une titulaire du poste plus pondérée, les syndicats...

Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, le 27 février 2024 à Paris © Thomas SAMSON
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, le 27 février 2024 à Paris © Thomas SAMSON

"Il faut écouter qui? On est complètement perdus": face à un ministre de l'Economie qui multiplie les interventions fracassantes sur le thème du travail, et une titulaire du poste plus pondérée, les syndicats ont l'impression d'avoir "deux salles, deux ambiances".

Depuis plusieurs mois, Bruno Le Maire répète notamment qu'il faut réduire la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi, arguant que les réformes de structures sont nécessaires pour atteindre le plein-emploi. 

Il a aussi plaidé récemment pour une reprise en main "définitive" par l'Etat de l'assurance-chômage, actuellement pilotée par les partenaires sociaux, via l'Unédic. 

Des propos qui interviennent après deux réformes controversées de l'assurance-chômage en 2019 et 2023, et qui ont suscité de vives protestations syndicales.

De son côté, la ministre du Travail Catherine Vautrin tempère et insiste sur le fait que "le dialogue social se passe à Grenelle". 

"Bruno Le Maire est là depuis sept ans, je suis là depuis deux mois", a fait valoir cette ex-LR, qui se trouve depuis janvier à la tête d'un super-ministère avec la Santé et les Solidarités mais semble moins audible. 

Si elle a depuis début février des ministres délégués, notamment à la Santé (Frédéric Valletoux), elle ne lâche pas ses différentes casquettes. En témoignent ses multiples déplacements sur le thème de la santé, davantage que sur les questions liées au travail, où elle est pourtant seule à bord. 

De quoi rendre perplexes les partenaires sociaux, qui négocient actuellement sur l'emploi des seniors avec un volet sur l'indemnisation chômage.

"On a une ministre du Travail, officiellement", ironise ainsi Denis Gravouil pour la CGT. 

Dans la presse, la ministre assure que sur l'assurance-chômage, "tout se fera dans la concertation, dans le dialogue social", dit-il à l'AFP. Mais "dix jours après il y a le vice-Premier ministre, ministre de l’Economie qui annonce que selon son avis personnel, il faudrait que le gouvernement reprenne l'assurance-chômage en main". "Donc, soit ils se parlent au gouvernement avant d’annoncer quelque chose (...), soit il a pris des décisions qui s’assoient complètement sur ce qu’a dit la ministre du Travail".

Pour Yvan Ricordeau (CFDT), "pour l’instant à l’exécutif, on a deux salles, deux ambiances". "On est habitués à avoir des tendances Bercy qui ne sont pas les tendances ministère du Travail", dit-il. Mais traditionnellement, il y a "des arbitrages réguliers" de Matignon qui font qu'"on sait où le curseur a été situé".

Plus de ministère

Si Cyril Chabanier (CFTC) reconnaît à Catherine Vautrin d'être "réellement attachée au dialogue social" et d'être "assez cash", il pointe lui aussi un "problème": "il faut expliquer à Bruno Le Maire qu’il n’est pas Premier ministre de l’Economie".

"Quand vous discutez avec Catherine Vautrin c’est à peu près l’inverse de ce que vous a dit ou ce que vous avez lu sur le ministre de l’Economie", dit-il, assurant n'avoir "jamais vu deux ministères aussi opposés publiquement". 

"Qui va gagner à la fin ? Je ne sais pas" et "il faut écouter qui ? On est complètement perdus", lance le responsable syndical. Il juge à son tour que "Matignon n'arbitre pas de façon claire" et dit son impression que "l’Elysée est quand même plutôt du côté de Le Maire". 

Le patron de la CFE-CGC François Hommeril, lui, n'y va pas par quatre chemins : "A l’évidence, il n’y a plus de ministère du Travail", Emmanuel Macron l'a "supprimé".

L'Elysée est "directement en ligne avec Bercy qui commande à tous les sujets, traités uniquement sous l’angle budgétaire", fustige M. Hommeril pour qui "le pouvoir s’est concentré sur un groupe incroyablement réduit de personnes".

"Même le Medef commence à s’inquiéter", croit savoir le syndicaliste, qui note notamment que sur l’assurance chômage, ils ne sont pas demandeurs de ce que veut faire le gouvernement.

Le numéro un du Medef Patrick Martin avait de fait dit en février ses réticences au déclenchement d'une nouvelle réforme "pour des raisons de climat social et de respect des partenaires sociaux".

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