«Huit questions sur l’avenir de l’eau en France»
Enjeu complexe, la gestion de l’eau devient cruciale
Quand l’eau viendra-t-elle à manquer en France ? Un rapport sénatorial pointe les difficultés croissantes à venir en raison de l’accélération du changement climatique. Il préconise des solutions de gestion durable de cette ressource précieuse. Certaines sont aujourd’hui contestées, à l’image des «mégabassines» agricoles.
L’été dernier, huit départements français sur 10 ont été touchés par des arrêtés préfectoraux de restriction d’eau. Un exemple parmi d’autres d’un changement majeur : l’eau, ressource précieuse longtemps bon marché, menace de devenir rare. Et l’enjeu est à la fois environnemental, de santé publique, économique et social. Alors, «Comment éviter la panne sèche ? Huit questions sur l’avenir de l’eau en France», interroge un rapport sénatorial, présenté en décembre dernier.
Pour l’instant, «le tableau n’est en rien apocalyptique», estime l’étude. Toutefois, la gestion de cette ressource «doit absolument faire l’objet de toutes les attentions, pour s’adapter à l’accélération des conséquences du changement climatique», mettent en garde les élus. D’importantes perturbations pourraient, en effet, advenir «très rapidement» sur l’ensemble du territoire, alerte leur rapport. Sont notamment attendus : une diminution des pluies en été (de 16 à 23%, à horizon 2070), une plus grande fréquence des épisodes de pluies intenses, un accroissement de la variabilité des précipitations, un accroissement de la sécheresse des sol, l’eutrophisation des cours d’eaux et des lacs...
En outre, d’autres phénomènes s’ajoutent au changement climatique pour perturber le cycle naturel de l’eau, à commencer par l’artificialisation des sols. Cette dernière conduit à leur imperméabilisation, favorisant ruissellement et déforestation. Autre difficulté supplémentaire, la pollution engendre – de concert avec le changement climatique - des problèmes de qualité de l’eau. La première provoque la présence dans l’eau de nombreuses substances toxiques, nitrates, résidus de pesticides, micropolluants, microplastiques, de manière diffuse et ponctuelle… Le second favorise le développement d’espèces aquatiques envahissantes. Or, souligne le rapport, «si la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine est très contrôlée (près de 18 millions d’analyses par an), la qualité de l’eau est aussi un enjeu pour l’environnement : faune et flore aquatique ont besoin d’un milieu sain».
Poches de sobriété et fuites des réseaux d’eau
Sur le plan quantitatif, rappellent les sénateurs, «une gestion durable de l’eau passe par le fait de reconstituer les stocks d’une année sur l’autre et de ne pas puiser structurellement plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface par les pluies, en maîtrisant le cycle de stockage/déstockage de l’eau sur les quatre saisons de l’année». Pour répondre à cette équation complexe, les solutions s’articulent autour de deux axes principaux : «la sobriété avec la réduction des utilisations de l’eau et l’augmentation de la mobilisation de l’eau là où c’est possible». La première stratégie a déjà commencé à être déployée. Son avantage : être «a priori la moins coûteuse», pointent les sénateurs. Déjà, en 2019, les Assises de l’eau avaient fixé un objectif de baisse des consommations de 10% en cinq ans et de 25% en 15 ans. Celle des ménages a diminué les dernières décennies.
Le rapport identifie également d’autres pistes apparemment prometteuses. C’est en particulier le cas de la réduction des fuites des réseaux d’eau potable. Ces dernières représentent jusqu’à 20% du liquide distribué ! (1 milliard de m³ par an ). Les quelque 900 000 km de canalisations ne sont renouvelées qu’à un rythme de 0,7% par an et la moitié d’entre elles ont plus de 50 ans. L’investissement public annuel d’environ 6 milliards d’euros devrait être augmenté de deux milliards pour apporter une réponse satisfaisante.
En termes quantitatifs toutefois, d’après le rapport, ce ne sont ni la réparation de ces circuits défectueux, ni les secteurs industriels et énergétiques qui recèlent les plus grands potentiels d’économie d’eau. «L’effort de sobriété pèsera principalement sur l’agriculture, qui représente les deux tiers de la consommation d’eau», estime le rapport. Mais celui-ci souligne que «pour avoir un impact fort, il faut changer de systèmes de culture, ce qui n’est pas toujours économiquement viable. (…) Le chemin vers la sobriété en agriculture est donc difficile».
Des mégabassines contestées
L’agriculture est également au cœur du deuxième axe stratégique d’une gestion durable de l’eau, celle de l’optimisation de la mobilisation des ressources. En effet, la consommation agricole se concentre au printemps et à l’été, précisément lorsque l’eau se fait rare. Par ailleurs, «la France est loin de retenir l’ensemble des pluies utiles reçues sur le territoire hexagonal», pointe le rapport. Actuellement, sur un total sur les 510 milliards de m³ de précipitations qui tombent chaque année sur l’Hexagone, moins de la moitié sont dites «efficaces» et vont vers les nappes ou cours d’eau. En termes de stock, l’eau est conservée de manière naturelle dans quelque 650 aquifères (2 000 milliards de m³) et grands barrages ( 12 milliards de m³).
Les sénateurs listent plusieurs solutions techniques possibles pour améliorer le dispositif. D’après le rapport, la technique apparemment séduisante de la désalinisation de l’eau de mer est «trop coûteuse et énergivore par rapport aux solutions fondées sur l’utilisation d’eau douce terrestre». Pour les sénateurs «la construction de nouvelles retenues multi-usages, (…) constitue une solution à encourager». Ces infrastructures qui se remplissent l’hiver à partir de la collecte d’eau de pluie pour être utilisées l’été relèvent d’une «stratégie ancienne», rappelle le rapport. Elle a commencé dès les années 1950, avec la construction de grands barrages.
Aujourd’hui toutefois, ces retenues, également nommées «bassines», ou «mégabassines» sont devenues un sujet « sensible », notent les sénateurs. L’impact écologique et sociétal de ces dispositifs est contesté : d’après Greenpeace, par exemple, ces bassines ne sont pas neutres écologiquement. En outre, elles confortent un modèle agro-industriel de production très gourmand en eau, comme celui du maïs majoritairement destiné à l’élevage industriel, au détriment du développement de solutions locales et paysannes.