Enerbiom aide l’agriculteurà exploiter son lisier
C’est une première nationale ou presque… Enerbiom, créée par un ingénieur en méthanisation, va pouvoir entrer en action. Après de nombreuses années de “combat”, il parvient enfin au but : proposer à l’agriculteur de transformer son lisier en méthane puis électricité. Adieu les algues vertes ?
D’un côté, une installation sur mesure vendue à l’agriculteur par Enerbiom qui collecte les déchets provenant des lisiers de bovins ou de porcs, les transforme en gaz méthane qui à son tour produit de l’électricité rachetée par EDF. De l’autre, un problème immédiat à résoudre, celui des algues vertes en Bretagne, mais aussi une solution à la pollution des sols et des cours d’eau et, après investissement, un revenu appréciable pour l’agriculteur.
Pourquoi avoir tardé ? C’est si simple qu’il faut se poser la question : comment se fait-il que Philippe Peultier ait mis tant de temps pour y parvenir, lui qui a créé trois sociétés en 23 ans avant Enerbiom, et sans trouver un vrai marché…
“Les esprits n’étaient préparés ni à la méthanisation ni à l’élimination des déchets, encore moins à leur recyclage en production d’énergie nouvelle, sourit-il. Pourtant, sur le plan scientifique, c’était prêt depuis très longtemps, mais la demande privée était inexistante. Les revues spécialisées étaient confidentielles et même regardées de travers, et les agriculteurs avaient d’autres chats à fouetter, essentiellement tournés vers le compte d’exploitation, encore aujourd’hui d’ailleurs. Et les élus se gardaient bien de se mettre le monde agricole à dos et n’encourageaient pas la méthanisation pas plus que d’autres écomesures. Tant que j’ai dû convaincre les élus de m’aider à lancer des programmes de traitement du lisier, j’ai piétiné. Mais aujourd’hui, je m’en passe puisque je m’adresse en direct à l’exploitant.”
C’est pourtant des collectivités publiques que proviennent les moyens financiers permettant la création d’Enerbiom, entreprise promise à un bel avenir, médiatique déjà. Songeons que la Région Nord-Pas-de-Calais fut la première à ouvrir le porte-monnaie devant un tel projet – 140 000 € –, suivie par la CA Porte du Hainaut qui mit autant. Sans parler des autres aides publiques ou privées et des fonds propres, 280 000 € sur un investissement complet d’environ 500 000 € étaient rassemblés et l’université du Hainaut-Valenciennes abritait la société avant qu’elle ne migre à Denain. Encourageant…
Une création mouvementée. La genèse du projet passe par une longue traversée du désert, plus de 20 ans. Période qui a appris beaucoup de choses à ce jeune ingénieur agricole alsacien spécialisé dans la méthanisation. Après le second choc pétrolier, le marché frémit un peu – vraiment un peu… –, avec pourtant une centaine de projets de méthanisation en France. Suivent trois ans de coopération au Sénégal où Philippe Peultier met en oeuvre le procédé. A son retour en métropole, il crée son BE pour des études de faisabilité chez les éleveurs de porcs. Mais en 80-85, catastrophe ! Le baril de pétrole tombe à 10 $ et le nucléaire bénéficie d’une intense campagne médiatique : plus question de parler de solutions alternatives et de changement climatique. Notre ingénieur se tourne quand même vers le traitement du déchet et le compostage en créant sa première société, Fertim, à Marquillies (près de Lille). C’est trop tôt, le marché ne démarrera que vers 2000, les politiques ne sont pas sensibilisés à l’enrichissement des sols… “J’ai arrêté en 1998, mais j’ai beaucoup appris en termes de process, explique Philippe Peultier, surtout dans le traitement des boues très liquides. J’ai donc remonté une société en Bretagne, Natural, pour composter du lisier avec des déchets verts. Là, il y avait d’énormes besoins mais pas de marché malgré cinq installations montées dans le Finistère. La frilosité des politiques était manifeste.” En 2006, Natural a fermé mais, cette année-là, l’Etat a décidé EDF à doubler son tarif de rachat de gaz méthane, passant à 14 centimes d’euros le kW. La filière méthanisation pouvait repartir et de 2007 à 2009, Philippe Peultier intègre l’incubateur de l’Ecole des mines de Douai et via une coopérative, il signe de petites réalisations chez l’agriculteur. Enerbiom est née de ces avatars et de cette ingénierie appliquée au Douaisis.
Adaptation au marché français. Enerbiom va se développer rapidement sur un marché national. Ce laboratoire mécanique et énergétique en traitement de l’eau et des déchets, de production et utilisation du gaz, va bénéficier de l’appui de partenaires. Se penchent sur le berceau l’université du Hainaut avec “Tempo”, l’université de Lille (“PC2A”), l’université du Littoral (“CCM”), l’Ensam de Lille. Puis arrivent les soutiens financiers s’ajoutant à ceux de la Région et de la CAPH, un Val initiatives de 30 000 €, et enfin LMI qui a fait d’Enerbiom son premier lauréat hors Métropole avec un chèque de 40 000 € à la clé. En 2012, la société doit passer à 30 personnes, 70 un an plus tard. Le CA prévisionnel de 8 M€ en 2012 est estimé à 20 en 2013. A partir du Nord-Pasde- Calais, Enerbiom s’adresse à la France entière. “C’est le bon moment, explique l’ingénieur. Il y a certes la concurrence de l’Allemagne mais les installations qu’elle propose sont trop massives pour le marché français. Nous proposons des unités plus modestes et mieux adaptées à la taille des exploitations. Et, pour l’instant, très peu de projets comme le nôtre existent en France.”
Le marché s’ouvre ! Le concept est simplissime. Philippe Peultier explique : “Je propose à l’éleveur de bovins une unité de traitement du déchet animal et de production de gaz méthane puis d’électricité rachetée par EDF. Elle est à la mesure de l’exploitation ; elle peut dégager des emplois, de la simple manutention. Nous la finançons à hauteur de 580 000 €. Mais le rachat du kWh étant passé à 19,97 centimes d’euro, à raison d’une utilisation de l’unité de 8 000 heures par an, l’éleveur peut dégager un revenu complémentaire de 160 000 € par an. Notre première installation sera prête en décembre 2011 près du Quesnoy, il s’agit de petites unités de 40 à 200 kW.”
Plusieurs dizaines d’installations sont déjà programmées dans les régions d’élevage et de production laitière ou porcine : Bretagne, Normandie, Nord- Pas-de-Calais. Les Bretons veulent méthaniser leur lisier et produire de l’électricité à hauteur de 30% dans les prochaines années, ils n’en sont qu’à 8% aujourd’hui. La CA Porte du Hainaut, qui a bien compris et soutenu le projet, va plus loin que l’aide financière en menant une réflexion qui aiderait à la médiatisation, deuxième nerf de la guerre avec les finances. Il s’agirait de travailler dans le cadre du projet “Boréal” à réduire la part des déchets verts envoyés à l’incinération (procédé aujourd’hui jugé très peu écologique car producteur de gaz à effet de serre) et donc de valoriser la méthanisation. “La médiatisation sera capitale, estime Philippe Peultier, c’est ce qui m’a tout le temps manqué avant. Un site Internet est en préparation et on fait les salons spécialisés, récemment celui de Mont-Bernanchon, près de Lillers. On surfe sur la vague du photovoltaïque dont le kWh va bientôt atteindre la parité, c’est une excellente perspective pour nous.”