En Martinique, le retour des CRS ravive des souvenirs "extrêmement désagréables"
Les compagnies républicaines de sécurité étaient persona non grata en Martinique depuis de sanglantes émeutes en 1959. L'envoi de la CRS 8, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, est vécu par...
Les compagnies républicaines de sécurité étaient persona non grata en Martinique depuis de sanglantes émeutes en 1959. L'envoi de la CRS 8, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, est vécu par certains comme une provocation dans l'île caribéenne.
"C'est la goutte d'eau qui va faire déborder le vase", s'émeut Yann, 43 ans, à Fort-de-France.
"Je vois que l'État, au lieu de se mettre justement à la table des négociations, en répond par la répression. Et je trouve ça totalement inadmissible", dénonce ce cadre, qualifiant le mouvement contre la vie chère de "totalement justifié".
Mi-septembre, le RPPRAC, collectif à la pointe de la mobilisation, avait quitté la table des négociations face au refus du préfet de retransmettre les échanges en direct sur les réseaux sociaux. La semaine dernière, la préfecture a annoncé une "nouvelle table ronde" dans les prochains jours, sans en préciser les modalités.
"Le premier acte politique du nouveau gouvernement macroniste consiste à envoyer en Martinique, pour la première fois depuis les émeutes meurtrières de 1959, la 8e compagnie républicaine de sécurité (CRS)", a dénoncé dans un communiqué la députée (PS) de l'île, Béatrice Bellay, craignant une décision qui ne fasse "qu'aggraver les tensions".
En décembre 1959, trois jeunes Martiniquais avaient perdu la vie au cours de trois jours d'émeutes.
Sollicitée pour évoquer l'envoi de la "CRS 8" en Martinique, confirmé à l'AFP de source proche du dossier, la préfecture n'avait pas répondu dimanche.
Cette unité, créée en 2021, avait notamment été déployée en avril 2023 à Mayotte pour renforcer les effectifs de l'opération "Wuambushu".
Ces derniers jours, des violences urbaines ont touché plusieurs communes de la Martinique, dans un contexte de mobilisation contre la vie chère. Les forces de l'ordre ont été la cible de tirs à balle réelle.
Face aux tensions, le préfet a décrété un couvre-feu, de 21H00 à 05H00 du 18 au 23 septembre dans certains quartiers de Fort-de-France et du Lamentin, commune limitrophe.
Lundi, des carcasses de voitures brûlées étaient toujours visibles et des barrages empêchaient les voitures de circuler sur certains axes du chef-lieu de la Martinique, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Grande violence
Face à cette violence, la venue des CRS est "nécessaire", juge une sexagénaire qui souhaite rester anonyme, rencontrée sur la jetée à Fort-de-France. "Parce que si on n'a personne pour nous protéger pour notre sécurité, on est laissé à l'abandon", poursuit-elle.
Sabine, 49 ans, ne voit non plus pas la venue des CRS d'un mauvais œil. "S'ils sont là pour faire leur travail et maintenir l'ordre (...), pourquoi pas", estime-t-elle, rappelant néanmoins que des politiques Martiniquais avaient demandé le départ des CRS "pour des raisons de racisme".
Car ces unités avaient "laissé en Martinique des souvenirs extrêmement désagréables", explique l'historien Louis-Georges Placide. Avant même 1959, ils étaient connus sur l'île pour des épisodes de "grande violence", poursuit l'auteur de "Les émeutes de Décembre 1959 en Martinique, un repère historique" (L'Harmattan).
S'il reconnait que la CRS 8 partie samedi à la Martinique n'est "pas responsable" des actions du passé, leur envoi est "maladroit" car ce sera "certainement perçu comme une provocation", estime-t-il.
Ce que confirme Olivier, 52 ans, assis dans un café au pied des arbres du parc de la Savane, où les événements de 1959 ont débuté.
Ce quinquagénaire voit dans ce retour "un symbole de colonialisme". Pour cet ingénieur, les CRS "sont là pour tabasser".
Pourtant, "les CRS n'ont tué personne en 1959" mais ont été à l'origine des émeutes ayant provoqué la mort de trois Martiniquais, rappelle M. Placide.
Tout commence un dimanche de décembre, lors d'un "incident de stationnement" entre un Martiniquais en deux-roues et un "métropolitain" blanc en voiture.
"Les deux hommes ont l'intelligence de dépasser ce clivage ethnique et d'aller prendre un pot ensemble, donc tout est réglé", raconte M. Placide. Or un CRS hors service, témoin de la scène, prévient ses collègues.
Des tensions dégénèrent en émeutes qui feront trois morts, deux tués par les policiers, le dernier "vraisemblablement par un gendarme", selon Louis-Georges Placide. Résultat, les CRS sont renvoyés en France hexagonale, par décret, en 1960. Jusqu'à 2024.
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