En braquant le PS sur l'immigration, Bayrou risque de replacer le RN en arbitre de la censure

Bévue ou stratégie assumée ? En braquant le Parti socialiste sur l'immigration, François Bayrou risque de replacer le Rassemblement national en position d'arbitre de la censure alors qu'il avait volontairement choisi de ne pas négocier avec...

Marine Le Pen (g) et Francois Bayrou, à l'Assemblée nationale à Paris, le 21 janvier 2025 © Bertrand GUAY
Marine Le Pen (g) et Francois Bayrou, à l'Assemblée nationale à Paris, le 21 janvier 2025 © Bertrand GUAY

Bévue ou stratégie assumée ? En braquant le Parti socialiste sur l'immigration, François Bayrou risque de replacer le Rassemblement national en position d'arbitre de la censure alors qu'il avait volontairement choisi de ne pas négocier avec l'extrême droite qui a fait tomber son prédécesseur.

Sous forme de coups de pression, négociateurs PS et RN ont menacé chacun jeudi le gouvernement de censure à l'orée de discussions budgétaires délicates en Commission mixte paritaire (CMP), où sept députés et sept sénateurs tentent de s'entendre sur une version commune du budget de l'État. 

S'ils aboutissent à un accord, ce dernier sera examiné par les députés lundi. Mais faute de majorité à l'Assemblée pour le faire adopter, le Premier ministre devrait faire usage de l'article 49-3, s'exposant à la censure des députés.

Mais la tension est montée avec les socialistes depuis l'évocation par le Premier ministre d'un "sentiment de submersion" des Français en matière migratoire.

L'emploi du terme, couramment employé par l'extrême droite, par l'agrégé de lettres François Bayrou est-il volontaire ?

Une députée MoDem n'y voit "aucune malice" pour s'acheter une non censure du Rassemblement national. Cette militante de longue date rappelle que le Béarnais "a déjà eu des expressions comme ça où il livre tout ce qu’il pense ou entend".

Balle dans le pied

Mais pour l'ancienne candidate pour Matignon du Nouveau Front populaire Lucie Castets, "ce n'est pas une sortie de route", François Bayrou "se met de nouveau dans les mains du RN".

"Il connaît parfaitement le sens des mots" mais "le faire en pleine négociations avec les socialistes c’est se tirer une balle dans le pied" en augmentant le risque d'être censuré par le PS, abonde une députée macroniste.

Un ancien ministre du camp présidentiel ne comprend déjà pas pourquoi le chef du gouvernement a participé à une longue émission télévisée lundi, où il a employé cette expression, alors qu'il "avait théorisé le fait qu’on ne parle pas pendant qu’on négocie". "C'est comme ça qu'il avait écarté la première censure" après sa déclaration de politique générale, note-t-il.

En amenant dans ce contexte le sujet hautement inflammable de l'immigration, François Bayrou finit par procurer "le sentiment de donner des gages à ceux qu’il ne souhaite pas amadouer, au risque de braquer ceux qu'il est censé devoir draguer ou consolider", déplore le même.

Une représentante de l'aile droite de la macronie suggère que le gouvernement fasse désormais un geste en direction du PS en ne retenant pas, comme le demandent les socialistes, la baisse des crédits de l'Aide médicale d'Etat pour les étrangers en situation irrégulière. 

"Ca ne sert à rien de durcir le discours sur l'immigration, ça ne marche pas. Il n'y a que le RN qui en bénéficie", complète un député du même camp.

Carburant

A l'opposé, un responsable Les Républicains soutient comme l'extrême droite une réduction des crédits de l'AME et met la sortie de François Bayrou sur le compte d'une "part d'hubris qui fait qu'à un moment quand ça va bien, on prend trop confiance".

Pourtant "ce n'est pas au bout de la négo avec le PS" sur le budget, qui était sur le point de se conclure quand la polémique sur la "submersion" a surgi, "que vous faites de l’œil au RN", estime cet ancien ministre qui défend le choix du chef du gouvernement de discuter à dessein avec le PS après l'échec des négociations de Michel Barnier avec le RN.

Reste que les tenants de la censure au PS ont du "carburant" avec les décisions de François Bayrou de scinder en deux le texte sur la fin de vie ou de durcir les conditions de régularisation des étrangers.

Le Premier ministre "a pris le pari que le chargeur du PS était vide" et ne votera pas une deuxième fois la censure vu les retours de leurs électeurs sur le terrain, analyse un ancien ministre. "Il considère désormais que la dynamique de censure se trouve plus à l’extrême droite qu'a à gauche", mais il "sous-estime la volonté de rupture de Marine le Pen".

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