Emmanuel Druon, l'«écolonomie» corps et âme

Son entreprise Pocheco, qui fabrique des enveloppes et pochettes écologiques depuis 1928, est un concentré d'économie régénérative. Rencontre avec un homme de Lettres, connu et reconnu pour ses actions, qui vous conte en toute humilité comment une entreprise peut renouer avec le vivant en appliquant des principes simples.


Emmanuel Druon, dirigeant de Pocheco. © Lena Heleta
Emmanuel Druon, dirigeant de Pocheco. © Lena Heleta

95 espèces d'insectes, 56 espèces d'oiseaux, des chauves-souris, des abeilles, et même un triton alpestre... le site de Pocheco, qui s'étend sur trois hectares dont 8 000 m2 de bâtiments à Forest-sur-Marque, est végétalisé à hauteur de 85% (176 espèces de plantes). Cela va presque de soi : la société est autonome en ressources hydriques et presque pour moitié en électricité.

Le décor est planté. Derrière lui perdure depuis 1928 une entreprise qui s'est donnée en 1997 – année de l'arrivée d'Emmanuel Druon à la tête de la société de son père –, une ligne de conduite stricte : «entreprendre sans détruire», résume le dirigeant. «Pas tant par militantisme que pour une question de survie». En effet, il y a 30 ans, «il y avait un risque d'effondrement de notre métier avec l'arrivée d'Internet. Les gens n'auraient plus besoin d'enveloppes. On nous expliquait que notre métier était dévastateur. J'ai alors commandé une étude auprès du CNRS sur notre manière de travailler. Nous nous sommes dit : 'si on s'aperçoit que l'on est plus toxiques qu'Internet, on se reconvertira'». L'étude a répondu par la négative. Il faut dire que Pocheco s'est donné les moyens de «renouer avec le vivant».

Dix arbres plantés pour un arbre coupé

Point numéro un : Pocheco achète son papier à des fabricants intégrés. Ils gèrent le massif forestier avant de fabriquer la pâte à papier, puis le papier. Le massif forestier est géré par coupe d’éclaircie. On ne coupe que quelques arbres pour laisser pousser les plus droits. À leur tour, au bout de 60 à 80 ans, les arbres les plus droits sont coupés. Pour faire de la charpente ou de la menuiserie. Ce sont les déchets de cette exploitation qui serviront à faire du papier. Le papier est donc le fruit d’une exploitation saine de la forêt.

Point numéro deux : pour un arbre coupé, dix sont plantés. Avec jusqu'à deux milliards d’enveloppes fabriquées par an, ce sont trois millions d'arbres qui ont poussé depuis 1997 !

Point numéro trois : pas de solvants ni de produits toxiques, favorisation des emballages et des palettes réutilisables, zéro déchet, présence d'une bambouseraie pour traiter les eaux usées des encres. Prochain objectif : zéro plastique dans les colles. Résultat : l'entreprise est négative en CO2, à hauteur de 56 000 tonnes par an.

L'organisation de l'entreprise est davantage basée sur la coopération que sur la hiérarchie. © Lena Heleta

«Ménager plutôt que manager»

Dans «RSE», il y a la le «E» de la responsabilité environnementale, mais aussi le «S» de la responsabilité sociale. Chez Pocheco, où les machines sont expressément bariolées, la hiérarchie est remplacée par la «coopération», via des binômes ou trinômes qui respectent une charte. Ceci expliquant cela, Emmanuel Druon, qui a fait des études de Lettres avant de rejoindre L'Oréal et l'industrie textile puis «trouver son épanouissement» chez Pocheco, est l'auteur, entre autres ouvrages sur l'écolonomie (qu'il a découverte dans un livre de l'ex-ministre de l'Environnement Corinne Lepage en 2008), d'un manifeste d'anti-management (voir encadré). «Je préfère le terme 'ménager' au terme 'manager'», sourit-il. Les horaires sont flexibles, les salariés, au nombre de 75, issus d'horizons variés, car «on se nourrit de la diversité».

«Nous sommes robustes»

Derrière cette organisation, les arbres, toujours. «On sait que dans le monde vivant, les arbres les plus robustes ne sont pas les plus performants : ils dépensent davantage d'énergie, mais vivent mille ans. Nous c'est pareil. L'entreprise va bien. Nous sommes robustes. Juste un peu moins pressés que les autres». L'entreprise réinvestit tout ce qu'elle gagne, «se développant sur elle-même»

Sur l'année 2023, Pocheco, qu'Emmanuel Druon a rachetée à son père en 2008, a enregistré un chiffre d'affaires de 11,3 millions d'euros et s'est diversifiée en fondant notamment un bureau d'accompagnement aux entreprises (voir encadré). Elle compte dans son portefeuille des poids lourds, comme la Direction des Finances Publiques. Des centaines de personnes visitent chaque année cette entreprise exemplaire et atypique. Et participent aux Rencontres de l'écolonomie, organisées régulièrement avec des invités du monde universitaire et économique. Pour le reste, Pocheco se prépare à fêter, dans trois ans, ses 100 ans d'existence. Emmanuel Druon estime qu'il y a encore à faire. «Il faut que l'on soit irréprochables», résume-t-il. 

Les machines de l'atelier ont été repeintes en couleurs vives. © Lena Heleta

Accompagnement d'entreprises

L'écolonomie, Emmanuel Druon l'applique et s'attèle à la «raconter», pour reprendre ses mots. Aussi la société s'est-elle diversifiée, notamment via un bureau d'étude baptisé OUVERT, sous la houlette de l'ingénieure Élodie Bia. Il accompagne 50 entreprises par an – dont des grands noms comme GRTgaz –, soit près de 500 sociétés jusqu'à présent, désireuses d'écrire une feuille de route plus verte et vertueuse.

Un peu de littérature ! 

Par Emmanuel Druon :

- Travailler autrement (2013)

- Écolonomie, entreprendre sans détruire (2016)

- Écolonomie 2 : la transformation créatrice. 100 entreprises s'engagent (2020)

- Quand écologie et économie font cause commune : 350 entreprises s'engagent, tomes 1, 2 et 3 (2023)

L'équipe du bureau de conseil OUVERT. © Lena Heleta

Dates clés

- 1928 : naissance de Pocheco

- 1976 : rachat par le père d'Emmanuel Druon, polytechnicien alors dirigeant du groupe de presse parisien Le Particulier, fondé par le grand-père d'Emmanuel en 1949

- 1997 : arrivée d'Emmanuel Druon à la tête de Pocheco après un passage chez L'Oréal et dans l'industrie textile

- 2008 : Emmanuel Druon rachète Pocheco