Embargo russe : quelles conséquences sur l'agriculture régionale ?
Suite aux tensions avec Bruxelles sur le dossier ukrainien, Moscou a imposé un embargo sur de nombreux produits venant de l'UE. La Russie n'est plus un débouché pour les agriculteurs de notre région, qui doivent en trouver d'autres sur un marché européen saturé.
Le 6 août dernier, le président russe Vladimir Poutine a signé le décret bannissant de nombreux produits agricoles et agroalimentaires venant de l’Union européenne des étals de son pays. Une décision ferme de la part des autorités russes comme réponse aux sanctions européennes enclenchées suite à l’annexion de la Crimée et la situation en Ukraine.
Un partenaire important. Ce décret refuse l’accès au marché russe pendant un an à tous les fruits et légumes, le lait, le fromage, le poisson, le bœuf, le porc et la volaille en provenance de l’Union européenne (également des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Norvège). La Russie absorbe habituellement 10% des exportations agricoles et agroalimentaires de l’UE. Il s’agit du deuxième client de la filière après les Etats-Unis, pour un montant de 12 milliards d’euros par an, selon Eurostat.
Connue pour être exportatrice de céréales, on oublie que la Russie est fortement importatrice de légumes et fruits, mais aussi de produits transformés tels la viande ou encore les produits laitiers. Elle importerait ainsi 35% de sa consommation alimentaire. Ce décret du mois d’août force le pays a trouver de nouveaux fournisseurs comme la Biélorussie ou le Brésil.
Conséquences directes en Nord-Pas-de-Calais. D’après les chiffres fournis par les douanes aux marchés, la France a exporté l’année dernière 31,5 millions de tonnes de fruits et légumes, d’une valeur de 26 millions d’euros, vers la Russie. On peut observer les conséquences directes de l’embargo sur les producteurs du Nord-Pas-de-Calais, première région productrice de pommes de terre (38% de la production française).
En effet, en 2010-2011, la Russie avait une solide demande et notre région avait exporté près de 1,7 million de tonnes de pommes de terre vers ce pays, tant en direct que via les partenaires belges et néerlandais. Le décret présidentiel du Kremlin va ainsi avoir un impact direct sur cette production. De plus, certains représentants des agriculteurs pointent que des pommes de terre particulières d’habitude uniquement destinées à ce marché devront trouver d’autres preneurs. Oui, mais lesquels ? Car les marchés, en particulier celui de l’UE, risquent bien d’être saturés.
Impact indirect non négligeable. En effet, l’inquiétude la plus grande des agriculteurs de la région reste le risque de congestion des marchés de l’Union européenne. La fermeture du marché russe va rendre la concurrence intracommunautaire très forte pour de nombreux produits.
Le premier concerné est la viande porcine, affectée par un embargo russe depuis février dernier, une mesure officiellement motivée par la découverte de quelques cas de fièvre porcine africaine chez des sangliers morts en Lituanie et en Pologne.
L’Europe exporte tous les ans 750 000 tonnes de viande porcine, dont 10% rien que pour la France. Pour le Nord-Pas-de-Calais, quatrième région porcine de l’Hexagone avec 1,083 million de porcs produits en 2012, un problème spécifique se pose : un tiers de la production régionale est exporté vers la Belgique. Selon des experts du secteur, les prix belges sont calqués sur ceux de l’Allemagne, premier exportateur vers la Russie. Conséquence mécanique de l’embargo : les prix belges tombent en dessous des prix français, soit une situation inconfortable pour les éleveurs nordistes.
Autre secteurs menacé, celui des fruits, en particulier les producteurs de pommes qui vont être confrontés à la concurrence de la Pologne, vendant d’habitude en forte quantité à la Russie. Malgré la populaire campagne ayant fait le buzz au pays de Chopin encourageant à manger des pommes produites en Pologne (sur Twitter avec le hashtag “#jedzjablka”, #mangedespommes en français), les fruits polonais devraient venir inonder le marché français, faisant chuter considérablement les prix.
Le lait devrait aussi voir son prix baisser, accentuant encore la crise du secteur et l’effondrement des tarifs. D’après des observateurs du secteur, 1 à 2% de production de lait en trop sur le marché engendre une perte de 10 à 30% sur les prix pour le producteur.
Réaction de Bruxelles. Un document présenté à la Commission européenne début septembre a chiffré le coût de cette interdiction faite par la Russie d’importer sur son sol des produits alimentaires à 5 milliards d’euros. Pour éviter une chute des prix, Bruxelles et les 28 ministres de l’Agriculture ont débloqué une aide de 125 millions d’euros pour le secteur maraîcher.
A noter que l’Union européenne peut mobiliser également l’ensemble des réserves d’urgence prévues par la Politique agricole commune (PAC) pour compenser l’impact d’une perturbation exceptionnelle des marchés, soit environ 420 millions d’euros au total.
Les filières concernées (viande, fruits et légumes, lait) sont déjà éprouvées et leurs représentants réclament une aide mobilisant plus que la PAC, c’est-à-dire l’ensemble du budget communautaire et des Eats membres.
La fin de l’embargo ne semble pas à l’ordre du jour pour Moscou. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision russe NTV à la mi-octobre que son pays n’a pas l’intention de négocier les modalités de la levée des sanctions de l’Union européenne. Les agriculteurs du Nord-Pas-de-Calais devront vraisemblablement compter essentiellement sur leurs propres forces pour faire face à cette nouvelle crise.