Élevage, le Plan soutient-il vraiment les agriculteurs ?
Le 22 juillet, le gouvernement dévoilait son Plan de soutien à l’élevage français. Six jours plus tard, les préfets de région activaient les cellules d’urgence pour définir les modalités de déploiement de ce plan dans chaque département. La situation a-t-elle pour autant vraiment changé pour les éleveurs ? Le point en Picardie.
Il aura fallu une mobilisation des éleveurs sans précédent pour que le gouvernement décide de mettre sur pied ce plan censé amoindrir les effets de l’effondrement des cours de la viande et du lait ayant affaibli les trésoreries des exploitations. Six priorités déclinées en vingt-quatre mesures ont ainsi été actées : des mesures de portée générale pour soulager rapidement la trésorerie des exploitations (avec entre autres remboursements anticipés de TVA et report d’échéance de paiement des impôts), des prêts de trésorerie et restructuration de l’endettement, des fonds d’allégements des charges, etc. Des mesures plus structurelles ont également été décidées, comme la reconquête du marché national, la diversification des revenus des éleveurs en les faisant participer à la transition énergétique ou encore la restauration de la compétitivité des filières d’élevage avec notamment la mobilisation du Programme des investissements d’avenir (PIA) et de BPIfrance. En charge de la coordination de ces actions au niveau départemental et régional : les cellules d’urgence, chapeautées par les Directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et composées des chambres d’agriculture, de CER France, Solidarité Paysans, du médiateur du crédit, de la MSA et – selon les dossiers – de débiteurs privés, coopératives et fournisseurs. Sur le papier, tout est clair : la cellule d’urgence a pour mission « d’identifier rapidement les élevages en difficulté et leurs besoins. Elle les oriente ensuite vers les mesures adaptées à leur situation ». Les éleveurs peuvent prétendre de leur côté au Plan de soutien s’ils accusent des retards de paiement des échéances bancaires et « autres anomalies de compte », dépassent leur ligne de trésorerie autorisées au-delà d’une certaine période, voient leurs niveau d’endettement se dégrader ou leur chiffre d’affaires/ marge diminuer.
Variabilité accrue
Comme le rappelle Daniel Roguet, président de la chambre d’agriculture de la Somme et président de la commission Élevage des chambres d’agriculture au niveau national : « L’État a alloué une enveloppe d’1,5 million d’euros à la Picardie pour financer ce plan en région, une première partie de 757 000 euros a été débloquée en juillet dernier, la seconde a été confirmée en septembre, à hauteur de 782 000 euros. » En Picardie, 500 dossiers ont déjà été déposés, « on attend encore d’autres », note Daniel Roguet. De son côté, CER France Somme a pris contact avec la plupart de ses éleveurs adhérents (environ 1 600). « Après étude de leur situation, explique Xavier Descamps, conseiller entreprise, s’ils peuvent prétendre au Plan de soutien, nous les aidons à constituer leur dossier de prise en charge. Nous sommes également à leurs côtés pour analyser l’origine de leurs difficultés, comprendre s’il s’agit d’un problème de trésorerie lié à la conjoncture ou si c’est plus structurel, avec des problèmes de rentabilité plus anciens liés aux stratégies mises en place par les exploitants. Notre préoccupation étant que les aides soient allouées à ceux qui en ont le plus besoin… » Courant octobre, 250 dossiers avaient été envoyés par CER France Somme à la DDTM. « Les exploitants picards ont vécu deux années difficiles, analyse Xavier Descamps, ce qui est frappant, c’est que les exploitants subissent de plus en plus de variabilité, avec moins de visibilité, il n’existe plus comme avant de filets de sécurité. Mais tous les agriculteurs ne sont pas en difficulté, il s’agit aussi d’une question d’individu », tempère-t-il. Daniel Roguet se veut moins optimiste : « Nous sommes confrontés à une crise d’une grande ampleur avec de vrais problèmes de trésorerie de nos éleveurs, les prix fixés pour le lait ne sont pas à la hauteur de leurs charges. Même si l’État a mis en place des actions, ce même que la Mutualité sociale agricole (MSA) avec un soutien des éleveurs côté cotisations sociales, il reste encore beaucoup à faire, il faut mener une réflexion à long terme, l’Europe doit plus soutenir les éleveurs en ce qui concerne les marchés, nous ne sommes pas entendus… Les producteurs doivent être rémunérés pour leur travail, les contraintes environnementales et les charges doivent diminuer et des objectifs structurels doivent être mis en place. Cette prise de conscience des instances dirigeantes est essentielle ». La MSA de Picardie a décidé d’agir au-delà du Plan, en proposant des « dispositions particulières », indique son président Antoine Niay, avec notamment un numéro d’appel et une adresse mail dédiée. « Plus de 600 personnes nous ont sollicités et nous avons pu leur donner une information précise au regard de leurs situations. Un grand nombre a souhaité un simple report de paiement dans un premier temps. Toutefois, nous avons déjà des demandes de prises en charge de cotisations qui ont été confirmées », explique le président de la MSA de Picardie. La MSA a par ailleurs proposé le report de paiement du deuxième appel provisionnel, à régler avec l’appel définitif, et suspendu les prélèvements pour les éleveurs l’ayant demandé. Antoine Niay le rappelle : « La MSA a une double responsabilité dans ce contexte tendu. (…) L’action de la MSA ne se limite pas à un rôle de gestionnaire, elle est aussi le relais des attentes de ses adhérents et force de propositions pour apporter des solutions adaptées au plus près des réalités de ces populations. »
Hiver chaud…
Des solutions d’urgence qui ne résoudront pas à long terme la crise que traverse la profession. Selon le président de la chambre d’agriculture de la Somme, l’avenir de la profession doit passer par « une vision de groupe, avec des salariés agricoles plus impliqués, la constitution de Groupements agricoles d’exploitations en commun (Gaec), individuellement, c’est devenu trop dur, mais notre région a de grandes capacités, et offre beaucoup d’opportunités, notamment au regard de la transition énergétique. L’avenir passera par la méthanisation, la traçabilité et la diversité, mais il faut en tout état de cause garantir les revenus de la production laitière », estime-t-il. Pour Daniel Roguet, « l’hiver risque d’être chaud, les éleveurs et producteurs ne ressentent pas les résultats des annonces gouvernementales, il faut absolument qu’elles deviennent effectives, les agriculteurs ne tiendront pas si on les berce de faux espoirs ».
Christophe Beewsard : « Il y a un décalage entre les annonces du gouvernement et la réalité du terrain. »
Exploitant agricole à Agnetz et secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) Oise, Christophe Beewsaerd gère son Gaec avec deux autres associés, son frère et son neveu. En plus de leurs 190 hectares d’exploitation (70 vaches laitières), les trois gérants tiennent une boutique, où ils vendent des produits fermiers, comme le faisait déjà après-guerre leur grand-père (et arrière grand-père). « La crise, nous la ressentons avec la baisse du prix du lait, environ 5 centimes, contre 36 centimes en 2014. Ce n’est pas possible dans ces conditions de combler le coût de production, explique Christophe Beewsaerd. Nous avons amorti la perte sur le lait par la diversification en 2009, en nous lançant dans la production céréalière, nous avons été relativement épargnés… » Pour le secrétaire général de la FDSEA Oise, la vraie solution résiderait dans une augmentation du prix du lait et de la viande, et suite aux actions syndicales menées, il se dit « déçu par la position de l’Union européenne, il n’y a pas de changement et nous n’avons aucune visibilité. Il y a un décalage entre les annonces du gouvernement et la réalité du terrain, les agriculteurs n’ont rien touché, ils ont dû déposer leur dossier, payant, alors que l’administration n’était pas au fait de l’ensemble des critères d’éligibilité », regrette Christophe Beewsaerd qui qualifie de « mesurettes » le plan Lefol. Il existe selon lui « un réel malaise, certains agriculteurs n’ont plus les fonds pour acheter de la nourriture pour leurs animaux, d’autres ont dû vendre leur véhicule personnel, ou casser leur livret. Ma crainte, c’est qu’il y ait des actes désespérés… Il y a une réelle méconnaissance des problèmes des agriculteurs, avec des effets d’annonce et un système qui abandonne la profession. C’est un problème qui doit se régler au niveau européen, avec comme question celle de savoir quel avenir on réserve à nos territoires. Tout cela risque de s’empirer l’an prochain ».
255 dossiers à la DDTM de l’Oise
Depuis août dernier, la DDTM de l’Oise a reçu 255 dossiers. La dernière cellule de suivi qui s’est déroulée sous l’égide du préfet de l’Oise Emmanuel Berthier le 9 novembre a permis de faire le point sur la situation dans le département. Les premiers dossiers ont été mis en paiement, 142 éleveurs – les plus fragilisés – sont concernés pour un montant total dépassant les 240 000 euros. Le report automatique des impôts restants dus (date limite du 15 décembre 2015) est possible pour les exploitants en faisant la demande auprès de la Direction départementale des finances publiques (DDFIP), qui étudiera le plan de règlement ou la remise partielle, voire totale de ces impositions. Une année blanche est également proposée aux éleveurs.