Économie de la culture et de la création, un potentiel inexploité en Picardie
En octobre dernier, France créative et le cabinet Ernst&Young ont dévoilé le second panorama de l’économie de la culture et de la création en France. En 2013, les dix secteurs culturels et créatifs du pays (arts visuels, musique, spectacle vivant, cinéma, télévision, radio, jeu vidéo, livre, presse, publicité/ communication) ont généré 83,6 milliards d’euros de revenus, dont 72,7 milliards de revenus directs, et ont des effectifs totaux de près 1,3 million d’emplois. Qu’en est-il en Picardie ?
La culture représente un enjeu de développement économique et social des territoires. Ses rôles fondamentaux : rendre attractif le territoire, par l’intermédiaire du tourisme culturel, mais aussi faciliter une transmission de savoirs aux populations locales. Selon une étude de l’Insee, le poids de la Picardie dans le secteur culturel français correspond à 1,4% de l’ensemble des unités de production. Sa contribution est donc faible, en comparaison notamment de son poids démographique (près de 3%) ou économique (près de 2,2% toutes activités confondues). La faiblesse de la Picardie se confirme via un indicateur synthétique de trois ratios : la part des établissements culturels dans l’ensemble des établissements de la région, la part des métiers culturels dans l’ensemble des professions exercées et la densité des établissements culturels par rapport à la population. Cet indicateur qui permet de mesurer le poids du secteur culturel en France place la Picardie en avant-dernière position des régions de France. Cette fai- blesse peut s’expliquer par le « caractère rural de la Picardie et le maillage de villes moyennes qui la constitue », selon l’étude de l’Insee. Ainsi, dans la région, les activités culturelles sont majoritairement exercées par des personnes seules, dont les trois-quarts exercent dans un domaine relevant de la création artistique (notamment les arts visuels). La culture à ‘échelle régionale se structure autour de 962 établissements employeurs regroupant près de 3 620 salariés. Une bonne moitié relève de la création artistique et appartient essentiellement aux arts du spectacle vivant. Bien moins importantes en nombre de structures, les activités liées à la préservation du patrimoine (architecture et gestion patrimoniale) disposent de plus gros effectifs : 21% des établissements employeurs concentrent un tiers des salariés.
Le spectacle vivant comme moteur
Le spectacle vivant occupe une place plus importance en Picardie qu’à l’échelle nationale. En effet les activités de secteur concentrent 27,3% des salariés (soit 2,6 points de plus que la moyenne nationale), essentiellement répartis dans la gestion de salles publiques ou privées, et de petites compagnies de spectacle. Ce qui n’empêche pas la région d’être en dernière position du classement des régions de France, selon le Centre national du théâtre, en nombre d’équipements théâ- traux par habitant. Toutefois, l’offre de services culturels proposés aux habitants est importante pour les autres équipements mis à disposition. Leur fréquence variant selon leur nature. Le nombre de ceux dédiés aux visiteurs est important, si l’on prend en compte les monuments historiques (la Picardie occupant la 13e place des régions françaises), et les musées. À l’inverse, les équipements à destination des résidents sont plus rares. La région dispose d’un seul théâtre ayant le label Scène nationale (le théâtre du Beauvaisis), et n’a aucun centre dramatique national. C’est également le cas en matière de danse, qui dispose d’un seul lieu labellisé Centre de développement chorégraphique (L’Échangeur à Château- Thierry) mais non national. Enfin, sur le territoire picard il n’existe aucun musée dédié malgré le Fonds régional d’art contemporain. La zone sud de la région, à forte densité de monuments historiques, dispose d’un poids culturel élevé. Cependant sa proximité avec l’aire urbaine parisienne incite les Picards à des navettes régulières. Les villes de Compiègne et de Beauvais (hors monuments historiques) ont la plus forte densité d’équipements par rapport au nombre d’habitants. Et Amiens, capitale régionale, a un poids non négligeable puisqu’elle concentre un établissement picard sur quatre et offre un emploi culturel sur cinq de la région. À nouveau, les arts du spectacle y sont très représentés par l’intermédiaire d’établissements renommés, tels que la Maison de la culture d’Amiens, unique scène nationale régionale.
Les professions des arts plastiques y sont également plus denses que dans le reste de la Picardie. Les territoires ruraux de la région présentent un faible développement du secteur culturel avec très peu d’équipements, d’emplois et d’établissements culturels.
Une situation pouvant s’expliquer en partie par les revenus modestes des habitants de ces zones qui, en outre, regroupent le plus faible nombre de diplômés de l’enseignement supérieur et de cadres et professions intermédiaires.
La culture en France
Entre 2011 et 2013, l’économie culturelle en France a vu une progression de ses revenus de 1,2% contre une augmentation du PIB de 0,9% sur la même période. De même une augmentation de 1,5% (contre 0,2%) en moyenne nationale d’emplois directs. Cette bonne santé économique s’explique notamment par l’appétence des Français pour la culture (le spectacle vivant notamment l’économie festivalière, les livres et l’audiovisuel), et par un bon maintien des exportations de biens culturels (2,7 milliards d’euros en 2013).
Les Industries culturelles et créatives (ICC) participent à des mutations urbaines liées à l’évolution du tourisme et à l’attractivité des territoires ainsi qu’au rayonnement international de la France, comme l’exprime Marc Lhermitte, associé EY et auteur de l’étude : « Les industries culturelles et créatives restent une force indéniable de l’économie française. Nos créateurs, producteurs, techniciens et entrepreneurs rayonnent à l’international et sont autant d’ambassadeurs de l’attractivité de la France. »
L’étude discerne quatre grandes tendances : la nette croissance de secteurs à revenus directs – arts visuels (+8%), spectacle vivant (+3 %), musique (+3%) -, la stagnation de secteurs en transition – radio (0%) et publicité (+1%), la chute libre de secteurs frappés par la réduction des revenus publicitaires (-17% pour la presse par exemple) et ceux dont les modes de consommation sont en mutation, comme le cinéma (-9%), le livre (-3%), la presse (-6%) et la télévision (-4%).
Résilience malgré les nombreuses crises de l’emploi
Selon l’étude d’Ernst & Young, les arts visuels, la publicité et la télévision représentaient 59% du total des industries culturelles et créatives en 2013, avec près de 50 milliards d’euros de revenus. De même, les arts visuels, la musique et le spectacle vivant, principaux employeurs de l’économie culturelle, représentaient 64% du total des effectifs avec 1,3 million de personnes. L’étude souligne enfin que l’enjeu principal reste la répartition de la valeur entre acteurs traditionnels, producteurs de contenu créatif et média numérique. Sur les 982 métiers recensés dans cette industrie, plus de 52% concernent la création, 28% la diffusion et 20% la production.
Propriétaire du théâtre Médard à Soissons, Fabrice Decarnelle a créé la compagnie Acaly en 1990, encore étudiant en arts et audiovisuel. Il sait que pour devenir professionnel il lui faut « avoir une âme de créateur et d’entrepreneur, et notamment disposer d’une structure ». Au cœur de son métier, le spectacle vivant et la transmission de savoirs « à l’attention des enfants ou des entreprises » qu’il forme aux techniques d’acteur. Travailler sur le comportement de l’individu en situation réelle facilite comme l’explique Fabrice Decarnelle « une prise de conscience individuelle et collective pour une plus-value immédiate ». Selon lui, l’insertion par le théâtre redonne confiance en soi et permet de repartir. La troupe offre 270 représentations par saison au théâtre Médard, et la compagnie développe entre 60 et 70 projets chaque année, ce qui génère 90% des ressources. Les 10% restants proviennent des subventions du département de l’Aisne et de la ville. Or « depuis 2010, le département essaye de maintenir les subventions, mais (…) pour cette année on s’attend à des coupes de l’ordre de 10 à 15 % », estime Fabrice Decarnelle qui se dit amer de n’avoir aucun soutien de la région, alors qu’il est « l’un des rares acteurs à être constamment sur le terrain en développant des projets sur le territoire de Soissons, jusqu’à 50 kilomètres autour de la ville ». Selon lui, l’économie culturelle locale est plutôt sinistrée et « l’Aisne est un peu le parent pauvre », d’autant que sa localisation incite le public à se déplacer vers Paris. Avec trois salariés permanents et quatre à sept intermittents du spectacle, il a un budget constant, mais un chiffre d’affaires en légère progression depuis deux ans. « Pour avancer et faire avancer les projets, il faut être en mouvement constamment », assure l’homme de théâtre. Fabrice Decarnelle vient d’acquérir un petit chapiteau, et il ambitionne de créer un bus, une salle de spectacles itinérante pour « amener la création dans des lieux où il n’y en pas, notamment en milieu rural, afin d’y installer la culture un bref instant ».
Camille SCHAUB