“Y a-t-il un pilotedans l’avion-justice ?”
Rencontre avec Jean Thevenot, bâtonnier des avocats de Valenciennes, qui nous présente son barreau, son actualité et sa colère quant aux réformes pesantes pour la profession.
La Gazette. Quelles sont les spécificités du barreau de Valenciennes ?
Jean Thévenot. Le barreau est composé de 106 avocats, d’une taille quasi équivalente à ceux de Béthune ou Boulogne- sur-Mer. Notre ordre se féminise – alors que la profession est de plus en plus prenante – et se spécialise : certains confrères ont fait des études spécifiques avant de rentrer dans le barreau comme dans le droit de l’urbanisme ou le droit de l’environnement, ou passent une spécialisation une fois installés. Nous opérons sur un bassin de 350 000 habitants où nous réalisons beaucoup de dossiers d’aide juridictionnelle, compte tenu d’une forte proportion de la population à avoir subi la crise houillère et sidérurgique. Il y a des enfants qui n’ont jamais vu leur père et grand-père travailler !
La réforme de la carte judiciaire a-t-elle eu un impact sur votre barreau ?
A la suite de cette réforme, notre barreau a absorbé le tribunal de commerce d’Avesnes-sur-Helpe début 2009. Un pôle d’instruction est également présent chez nous. Cette évolution n’a pas pour autant entraîné d’implantation de cabinet secondaire chez nous, provenant de structures d’Avesnes. Nous avons aussi une réelle mixité dans les structures d’exercices, avec des cabinets nationaux comme Fidal, des cabinets secondaires de structures lilloises, des cabinets de tailles intermédiaires ou des associations de moyens où l’on partage le secrétariat, la documentation, le loyer. Cette dernière formule offre une vraie souplesse car il y a beaucoup d’entraide au niveau de la gestion des dossiers.
Comment facilitez-vous l’accès au droit auprès du grand public ?
Nous proposons une borne de consultation juridique gratuite auprès d’un avocat, en fonction du niveau de ressources : il faut au préalable obtenir un bon auprès de la Maison de l’avocat. Mais je milite pour l’existence d’un chèque-conseil à l’attention des employés et des cadres moyens qui ne bénéficient jamais de rien. L’Etat devrait penser à financer un conseil pour eux. Car d’une manière générale, la chancellerie a l’art de rédiger régulièrement des lois difficilement compréhensibles par le grand public. Malheureusement, l’Etat se désengage de la justice : y a-t-il un pilote dans l’avion-justice ? Les missions de service public ne cessent d’augmenter et on fait peser les charges financières sur notre seule profession, à l’exemple de ce qui s’est passé avec la réforme de la garde à vue au printemps dernier. Dans toute la France, nous assurons 24 heures sur 24, 360 jours par an, une dizaine de permanences en matière de garde à vue, correctionnelle, JLD (juge des libertés et de la détention)… Nous sommes la seule profession à faire cela !
Avec la réforme de la garde à vue, comment vous êtesvous organisés ?
Nous avions déjà une permanence avant la loi, que nous avons étoffée en doublant les permanents. Et, très vite, nous avons rencontré la police et la gendarmerie pour désamorcer toute mauvaise image qu’ils avaient de notre profession. Cela a été une manière de sécuriser la procédure. Aujourd’hui, la mise en place de la réforme n’a pas entraîné de problèmes majeurs. Aucune baisse signif icative des gardes à vue n’a été enregistrée. En revanche, le procureur a décidé que les investigations techniques et d’identité auraient lieu dans les trois heures précédant l’arrivée de l’avocat. C’est une très bonne chose car cela permet de réduire le risque d’erreurs judiciaires. Puis les interrogations du justiciable se font en présence de l’avocat. C’est une autre manière de gérer le contentieux à Valenciennes. La loi permet en effet à chaque parquet de s’organiser. Par contre, c’est vrai que nous sommes toujours en attente d’un meilleur volet f inancier de la loi. Dans le décret d’indemnisation, on sait déjà qu’il n’y a pas de majoration pour les interventions de nuit, ni pour celles effectuées hors des limites de la commune du siège : je crains des mouvements de grève cet automne. Par ailleurs, les points de garde à vue n’ont pas été regroupés et nous devons courir d’un point à un autre. Il y aura fatalement des télescopages entre des audiences prévues et des réquisitions pour les gardes à vue. Bref, on néglige notre serment qui est d’assurer le soin de nos clients.
La réforme de la garde à vue va-t-elle inciter les confrères à se regrouper ?
Malgré les problèmes d’organisation, je ne le pense pas : les locaux sont aujourd’hui trop chers. Je crois davantage que c’est la multiplicité des droits qui incitera les confrères à se regrouper. J’ai moimême travaillé pendant un certain temps à l’espace Saint-Louis, à Fourmies, avec des notaires et expertscomptables. C’est un réel avantage pour le client d’avoir sur un même site plusieurs spécialistes. Par contre, je ne crois pas dans la nouvelle SPFPL (société de participation financière de profession libérale) qui autorise des regroupements capitalistiques de plusieurs professions. Il n’y a pas d’avantages supplémentaires pour le client étant donné que l’on travaille déjà avec d’autres partenaires.
Le 1er octobre démarre off iciellement la nouvelle Carpa des Hauts de France.
Oui, c’est un projet qui, au départ, avait réuni les neufs barreaux rattachés à la cour d’appel de Douai, hormis Lille, et qui a terminé avec cinq bar reaux. Finalement, cela nous permettra un démarrage en douceur au sein d’une structure moyenne. Elle devrait gérer une vingtaine de millions d’euros. Au départ, le projet ne concernait que le Pas-de- Calais. J’y ai alors rattaché le barreau de Valenciennes et celui d’Avesnes. Déjà en 1997, on parlait d’un tel regroupement. C’est un sujet qui m’est cher étant donné que j’ai moi-même été président de la Carpa au barreau d’Avesnes. Cela permettra de rationaliser les dépenses et d’optimiser les placements. Je crois savoir d’ailleurs que le barreau de Lille – dont la Carpa gère à elle-seule 40 millions d’euros – réfléchit pour entrer ultérieurement dans la nouvelle structure. Certes, ce projet va générer des suppressions de postes à la Carpa de Valenciennes mais nous serons attentifs au reclassement de chacun.
Que vous apporte cette expérience de bâtonnier ?
On se rend compte de la cristallisation sur un seul homme des problèmes du barreau et du tribunal. On consacre beaucoup de temps également aux dossiers disciplinaires. C’est pourquoi l’année de formation du dauphinat est indispensable. Il est d’ailleurs dommage que le dauphin ne soit pas indemnisé pour bien se préparer au mandat. Cela reste une expérience exceptionnelle dans une carrière d’avocat. Car trop souvent, durant son activité professionnelle, on manque de temps pour réfléchir à son métier et à l’avenir de la profession. Bâtonnier, on devient acteur sur le plan local, mais aussi régional et national.