“Une garantie conventionnelle est un projet complexe”
Les garanties légales dont bénéficie le cessionnaire dans le cadre de l’acquisition de titres composant le capital d’une société sont issues du droit commun de la vente : garantie contre l’éviction et garantie contre les vices cachés. Explications par me Vincent Bernard, avocat au barreau de Lille, taJ, société d’avocats.
La Gazette. Quels sont les principaux enjeux juridiques des “garanties d’actif et de passif” ?
Me Vincent Bernard. Ces garanties légales dont bénéficie le cessionnaire dans le cadre de l’acquisition de titres composant le capital d’une société sont issues du droit commun de la vente. La garantie contre l’éviction est prévue à l’article 1625 du code civil aux termes duquel le cédant doit garantir au cessionnaire la jouissance paisible de la chose vendue. Cette garantie couvre l’éviction du fait d’un tiers comme, par exemple, la revendication de la propriété des titres par un tiers. Ou du fait personnel du cédant, par exemple l’obligation de non-concurrence pesant sur le cédant dont la jurisprudence a strictement défini les contours. De son côté, la garantie contre les vices cachés est régie par l’article 1641 du code civil. En principe, la jurisprudence considère que seuls les titres cédés font l’objet de la garantie et non les actifs et passifs de la cible, en application du principe de la personnalité morale distincte de celle des associés ou actionnaires. Par exception, la jurisprudence admet que la garantie puisse couvrir les vices cachés afférents à la société dont les titres ont été vendus, dès lors que de tels vices empêchent la société de poursuivre l’activité économique constituant son objet. L’exception au principe reste donc d’application relativement limitée.
A quoi les garanties conventionnelles sont-elles destinées ?
Les conditions restrictives de la mise en œuvre des garanties légales conduisent en conséquence le cessionnaire, dans la plupart des situations, à demander au cédant de lui consentir une garantie conventionnelle, et ce, d’autant plus dans les hypothèses de cession de bloc de contrôle. Les garanties conventionnelles sont destinées à rééquilibrer l’opération de cession dont les éléments ont été négociés par les parties lors de l’acquisition de la société cible au vu, notamment, de sa situation comptable, financière, juridique, fiscale et sociale. En effet, la survenance, postérieurement à l’acquisition, d’un événement ayant une origine antérieure à celle-ci et se traduisant soit par une diminution d’actif, soit par un accroissement du passif de la société cible, impacte directement la valeur de cette dernière et par conséquent celle des titres acquis.
Peut-on parler de conventions de garanties à géométrie variable ?
Oui, les conventions de garanties sont à géométrie variable et fonction de la situation spécifique de chaque opération de cession de bloc de contrôle envisagée. Elles font généralement l’objet d’âpres négociations, tant sur leur principe même que sur leurs conditions et modalités. Une convention de garantie peut être directement intégrée au sein du protocole d’acquisition ou faire l’objet d’un acte séparé comportant une clause d’indivisibilité avec le protocole.
Si la conclusion d’une convention de garantie est généralement essentielle, quels sont les principaux éléments de négociation ou d’attention ?
Les principaux éléments de négociation ou d’attention sont les déclarations, l’étendue et les limites de la garantie, la mise en œuvre de cette garantie et, enfin, la garantie de la garantie.
Commençons par les déclarations. Que recouvrent-elles ?
Il est usuel de rencontrer dans les conventions de garantie une série de déclarations des cédants relatives à la situation de la société cible. Elles recouvrent des domaines divers et variés comme la forme sociale de la cible, la situation administrative et financière, la vie sociale de la cible et de ses filiales, les caractéristiques du fonds de commerce, la conformité des locaux d’exploitation, les risques environnementaux, la qualité des produits, la conformité aux règles sociales et fiscales, etc. Est généralement également regroupé sous les déclarations de sincérité l’ensemble des attestations formulées par les cédants relatives à la garantie du fait personnel consentie par les cédants et relatives, notamment, à la libre disponibilité des titres objets de la cession, à l’origine de propriété desdits titres ainsi qu’à la liberté de leur transmission (respect le cas échéant des procédures de préemption et/ou d’agrément, des dispositions de pactes d’associés, absence d’engagement de conservation pris en application des articles 787 B et 885 I bis du code général des impôts, dits “pactes Dutreil”…). Sont également insérées dans la garantie du fait personnel l’ensemble des dispositions relatives aux engagements de non-concurrence des cédants et/ou dirigeants sortants. L’obligation de non-concurrence devra classiquement être limitée dans le temps et dans l’espace pour être valable.
Avec quelle sanction en cas de déclaration inexacte ?
En cas de déclaration inexacte, la sanction sera la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du cédant et même, en cas de manquement particulièrement grave, la résolution de la cession. Il est toutefois possible d’aménager la garantie de ces déclarations en les soumettant au régime général de la garantie conventionnelle d’actif et de passif qui suit généralement ces déclarations (plafond, seuils de déclenchement…) ou, au contraire, en prévoyant expressément que les limitations de garanties ne s’appliqueront pas aux déclarations erronées ou inexactes. Un des points sensibles lors des négociations est de déterminer si les éléments révélés à l’acquéreur lors des investigations préalables classiquement menées par ce dernier avant l’acquisition pourront lui être opposés ou non.
Quant à l’étendue et les limites de la garantie, comment les définir ?
La liberté contractuelle prévaut pour la détermination de l’étendue et des limites de la garantie. Généralement, la convention constitue une garantie d’actif et de passif prévoyant que sera indemnisé tout préjudice pouvant résulter d’une inexactitude ou d’une omission dans les déclarations formulées par les cédants ; de la survenance d’un passif nouveau non comptabilisé dans les comptes servant de base à la garantie ; de la surestimation ou de la disparition d’un actif. Toutefois, il est loisible aux parties de réduire le champ d’application de la garantie et de prévoir des exclusions expresses, notamment en excluant toute garantie quant à l’actif ou quant au passif – rare en pratique –, ou encore quant à l’origine d’un passif particulièrement envisagé.
Par exemple ?
Par exemple, une problématique environnementale réglée avant le closing suite à l’intervention d’un expert, les coûts de remise en état d’un terrain ayant été directement imputés sur le prix de cession, pourra être expressément écartée dans la garantie. Relèvent également de ce type de garanties les conventions de garantie d’actif net par lesquelles le cédant prend en charge toute variation à la baisse de l’actif net à compter d’une date déterminée. Ce type de garantie est généralement favorable au cédant puisqu’il permet à ce dernier de compenser certaines diminutions de l’actif net avec l’augmentation de certains postes d’actifs du bilan ou, corrélativement, avec la réduction de certains postes du passif.
Quelle est la différence entre garanties d’actif et/ou de passif et garanties de valeur ?
Les garanties de valeur impliquent que les cédants garantissent la diminution de valeur des titres cédés à raison de l’apparition d’un passif nouveau ou de la suppression, ou diminution, d’un actif postérieurement à la date de transfert des titres. La qualification de la garantie n’est pas neutre sur le plan juridique. Traditionnellement, en application d’une garantie de valeur, l’indemnisation est versée au cessionnaire et non à la société cible. En outre, dans le cadre d’une garantie d’actif et/ou de passif, l’acquéreur prend en principe en charge l’intégralité du préjudice subi alors qu’en cas de garantie de valeur, le montant du préjudice indemnisé ne saurait excéder le montant du prix de cession. Enfin, la garantie de valeur ne bénéficiant pas à la société cible, elle ne peut être mise en œuvre que par l’acquéreur des titres. En pratique, la qualification de la garantie en garantie d’actif et de passif, ou en garantie de révision de prix, est délicate et relève de l’appréciation des juridictions. Il convient donc de bien rédiger les termes de la garantie pour éviter tout aléa lié à une éventuelle interprétation. Certaines conventions prévoient que l’indemnisation sera versée, au choix de l’acquéreur, soit à celui-ci, soit à la société cible, ce choix étant indiqué par le cessionnaire au cédant lors du règlement de l’indemnisation, choix que le cessionnaire exercera en son temps en fonction de ses propres intérêts et de ceux de la cible, notamment à la lumière des enjeux fiscaux. Dans cette situation, la jurisprudence aura tendance à analyser une telle convention en garantie d’actif et de passif plutôt qu’en garantie de valeur.
Qu’en est-il des limitations de la garantie consentie ?
Pour les limitations de la garantie consentie, en dehors des exclusions de garantie, les parties conviennent généralement d’un seuil à partir duquel la garantie pourra être mise en œuvre, mais également d’un plafond au-delà duquel les cédants ne seront plus tenus à indemnisation. Pour le seuil, l’idée est de ne pas mettre en jeu la garantie en dessous d’un montant que les parties jugent comme étant non significatif. Les parties détermineront alors si ce seuil constitue une franchise, c’est-à-dire qu’aucune indemnisation n’est due en dessous du montant concerné, seules les sommes dépassant ce seuil pouvant donner lieu à indemnisation. Ou un seuil de déclenchement, l’indemnisation étant alors due à compter du premier euro une fois le seuil dépassé. Quant au plafond, il est généralement inférieur ou égal à 50% du prix de cession. Une autre limite classique des garanties conventionnelles a trait à leur durée d’application. Encore une fois, celle-ci résulte de négociations et relève de la liberté contractuelle mais il est d’usage de s’aligner sur les prescriptions légales, notamment en matières fiscales et sociales, et une durée de quatre à cinq ans semble raisonnable pour les autres événements couverts. Sauf, bien entendu, circonstance particulière propre à chaque opération.
Après les déclarations, l’étendue et les limites de la garantie, la mise en œuvre de la garantie constitue un autre élément principal de négociation ou d’attention.
Il est important de préciser les conditions et modalités dans lesquelles le garant devra être tenu informé de la survenance d’un événement garanti. Ces modalités concernent principalement les délais de prévenance et la forme de l’information, généralement par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception, mais surtout la sanction de leur non-respect. Sur ce dernier point, la jurisprudence étant partagée, pour éviter les discussions qui pourraient s’élever lors de la mise en œuvre de la garantie, il est préférable de préciser dans la convention que le non-respect des modalités d’information sera sanctionné par la déchéance du droit à garantie pour l’événement considéré. Cette sanction, qui peut sembler brutale pour le cessionnaire dans certaines situations, pourra être contrebalancée par l’octroi d’un délai “raisonnable” d’information, 30 jours pouvant paraître équitables.
Enfin, quatrième élément d’importance : la garantie de la garantie.
L’octroi d’une garantie conventionnelle par les cédants ne constitue pas une garantie de solvabilité. Il est donc nécessaire de se prémunir contre ce risque lorsque l’on est acquéreur en exigeant une garantie de la garantie. Elle peut prendre plusieurs formes, telles que séquestre d’une partie du prix ou garantie bancaire à première demande. Les cédants pourront également consentir un crédit-vendeur sur une partie du prix, correspondant généralement au montant garanti dans la convention. Dans cette dernière hypothèse, la garantie prévoira une possibilité de compensation entre les sommes dues au titre de la garantie et le paiement du solde du prix. Bien entendu, il est également possible de demander une sûreté réelle ou même personnelle aux cédants, sous réserve toutefois de leur solvabilité future. Enfin, pour les cessions les plus importantes, il existe également des contrats d’assurances permettant de couvrir les conséquences financières d’une garantie conventionnelle.
Un dernier conseil ?
Les éléments présentés précédemment ne sont pas une liste exhaustive des points devant être validés avant la conclusion d’une convention de garantie. Chaque opération est unique de par son contexte, ses acteurs et les intérêts en jeu. Une garantie conventionnelle reste un projet complexe, tant dans sa mise en place que dans sa mise en œuvre. Elle n’est pas forcément adaptée à toutes les situations. Certains acteurs avertis préfèrent parfois ne pas y recourir et privilégier une réduction du prix de cession préalable.