“La gestion du patrimoine des collectivités est source d’économies budgétaires”
Entretien avec Hervé Ducloy, administrateur des finances publiques adjoint, responsable de la division chargée des collectivités locales à la Direction régionale des finances publiques (DRFiP) du Nord-Pas-de-Calais et du département du Nord.
La Gazette. Dans son rapport public 2013, la Cour des comptes souhaite une optimisation de la gestion du patrimoine des collectivités. Partagez- vous ce constat ?
Hervé Ducloy. La Cour des comptes met l’accent sur les difficultés que rencontrent les collectivités dans la gestion de leur patrimoine foncier et immobilier, et déplore l’absence récurrente de politique de valorisation de leurs biens. Je partage cette observation en soulignant d’ailleurs que les collectivités se privent de marges de manoeuvre financière au moment où leurs budgets subissent des contraintes fortes avec la diminution des dotations de l’Etat. Car la gestion du patrimoine des collectivités est source d’économies budgétaires. J’ajoute que les débats locaux portent essentiellement sur le contenu du budget qui demeure, certes et par nature, un acte annuel important de prévision et d’autorisation des recettes et des dépenses nécessaires au bon fonctionnement des services municipaux. Mais, année après année, l’accumulation des acquisitions immobilières et des dépenses d’investissement aboutit à la constitution d’un patrimoine solide, qu’il faut valoriser pour en maîtriser son coût de gestion.
Peut-on identifier quelques difficultés rencontrées par les collectivités dans la gestion de leur patrimoine ?
Pour dresser l’état des lieux, point de départ obligé, il faut bien connaître son périmètre et son historique. En effet, la gestion du patrimoine d’une commune suppose, a minima, de recenser tous ses biens mais aussi d’identifier leurs régimes juridiques qui définissent les conditions d’occupation et les obligations attachées aux biens détenus et/ou occupés. Les situations sont multiples : propriété totale ou partielle, location, bail commercial, occupation partagée, mise à disposition gratuite, affectation. Le régime juridique de ces biens varie selon qu’ils appartiennent au domaine privé de la collectivité et relèvent du droit civil, ou à son domaine public et relevant du droit administratif. La description du patrimoine se poursuit avec une série d’informations portant sur la date et le mode d’acquisition, la surface, l’état de vétusté, l’occupation, le coût d’entretien annuel.
Mais ce recensement ne doit-il pas être permanent ?
En effet, la seconde difficulté consiste à faire vivre ce recensement en permanence car, dans les collectivités, le processus de gestion du patrimoine est partagé par plusieurs services. C’est une fonction transversale qui commence par les services gestionnaires en charge des travaux ou du patrimoine, puis se prolonge avec la direction des finances, et ce, en lien étroit avec le comptable public, partie prenante dans ce processus.
Par exemple ?
Par exemple, lors de la vente d’un bien, il ne suffit pas de passer chez le notaire, il convient également de sortir le bien de l’inventaire physique tenu par le service gestionnaire, de comptabiliser la sortie de l’actif du comptable, de calculer la plus-value ou la moinsvalue, d’effectuer la reprise d’amortissement. La direction des finances de la collectivité doit alors émettre les titres et les mandats correspondants. C’est véritablement un travail d’équipe et partenarial avec le comptable public.
Une fois que la collectivité a terminé ce recensement, sans doute fastidieux, à quoi cela lui sert-il ?
Effectivement, c’est un travail de longue haleine qui peut s’étaler sur plusieurs années. Mais une fois ce travail achevé, l’ordonnateur disposera alors de “l’état général” de ses biens immobiliers. C’est une aide précieuse à la prise de décision en matière de gestion des locaux : est-il plus intéressant de louer, d’acheter, de vendre ? Vaut-il mieux démolir, rénover ou acquérir ? Quel est le coût complet de l’entretien, comment amortir, comment anticiper les grosses réparations, faut-il provisionner ? Comment rationaliser l’occupation spatiale des immeubles ? Autant de questions que se posent les gestionnaires locaux. In fine une méconnaissance du patrimoine peut porter atteinte au principe de sincérité budgétaire et d’équilibre réel.
Quelles sont les contraintes juridiques qui pèsent sur les collectivités en la matière ?
La tenue du patrimoine de façon sincère et régulière est un principe constitutionnel. L’article 47-2 de la Constitution prévoit que “les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat, de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière”. A terme, les comptes des collectivités locales seront certainement soumis à certification, comme le sont déjà ceux de l’Etat, des établissements publics nationaux et des hôpitaux publics. Dès lors, celle-ci ne peut être acquise que si les comptes reflètent la situation de façon exhaustive.
Vous avez évoqué le comptable public comme partie prenante de ce processus. Quel est son rôle exactement ?
Tout au long de l’exécution budgétaire, le comptable public reçoit les mandats de paiement relatifs aux dépenses d’acquisition et de travaux. Il les comptabilise après contrôle puis les met en paiement. A ce stade, les dépenses d’investissement ou d’entretien s’additionnent en masse dans sa comptabilité sans qu’il soit en mesure de regrouper celles qui concernent le même bien. Une autre source de complexité s’ajoute dans la mesure où les dépenses peuvent également concerner plusieurs imputations ou s’étaler sur plusieurs années. Dans ce contexte, le comptable est fondamentalement dépendant de l’information communiquée par son ordonnateur. Il faut donc être en rapport étroit pour déterminer, dès sa naissance, l’information la plus complète et la plus fiable.
Comment le comptable public peut-il aider son ordonnateur dans ce chantier ?
La mise à jour de l’inventaire est avant tout un travail partenarial. Les deux acteurs sont complémentaires mais l’initiative part de l’ordonnateur. La démarche de régularisation de l’inventaire ne peut être qu’une démarche progressive et concertée entre chaque ordonnateur et son comptable, qui comporte deux volets complémentaires. D’une part, réconcilier pour les exercices antérieurs l’inventaire physique de l’un et l’actif comptable de l’autre, et, d’autre part, pour l’avenir se mettre d’accord sur les modalités de suivi des prochaines acquisitions ou cessions. En année courante, des ajustements réguliers entre le comptable et l’ordonnateur permettent de s’assurer de l’absence d’écarts. Les deux volets peuvent être menés de manière disjointe ou parallèle en fonction de l’ampleur de la tâche.
Finalement, comment se concrétise la régularisation de l’inventaire pour les services de l’ordonnateur ?
Concrètement, la régularisation de l’inventaire consiste à mettre en place pour chaque bien une fiche par immobilisation permettant de retracer la vie du bien et de garantir une bonne traçabilité dans le temps. Chaque bien comporte un numéro d’inventaire unique, ce qui permet de regrouper l’ensemble des dépenses et des éléments caractérisant la vie de cette immobilisation. Pour les dépenses déjà exécutées, l’objectif est de rassembler sur une fiche immobilisation, toutes celles se rapportant au même bien. Pour y parvenir, l’apport de la comptabilité du comptable est essentiel. Pour les dépenses à venir, le numéro d’inventaire unique doit être connu et utilisé par l’ensemble des acteurs qui participent à la gestion du patrimoine. Au final, l’addition de l’ensemble des fiches immobilisation constitue l’inventaire physique et actif comptable de la collectivité.
Pour en savoir plus : le site “collectivites- locales.gouv.fr” publie l’intégralité de la documentation nécessaire à la conduite de ce chantier. Les comptables en ont naturellement connaissance et la Direction régionale des finances publiques est à la disposition des collectivités pour une présentation plus détaillée de cette problématique.