“Grande-Synthe est passée en quelques années du gris au vert"
Questions à Damien Carême, maire de Grande- Synthe, capitale française de la biodiversité 2010.
La Gazette. D’où vient le tropisme synthois en matière de biodiversité et que signifie la date de 1971 avancée dans le dossier de presse ?
Damien Carême. Grande- Synthe a été pionnière en matière de préservation de la biodiversité, même si à l’époque, on n’appelait pas cela de cette manière. L’année 1971 marque le début d’une politique de replantation dans toute la ville, suivie de la création du Puythouck, véritable poumon vert. C’est un choix politique déjà à l’époque : offrir aux ouvriers de l’usine un environnement de qualité et faire rentrer la nature en ville. Puis, très rapidement, des questionnements d’ordre écologique se sont accompagnés de premières expérimentations : lutte biologique remplaçant les pesticides, création d’une trame verte et bleue, etc. Ce travail a porté ses fruits puisqu’on a assisté au retour d’espèces rares, qui avaient disparu, constaté grâce à un effort méticuleux d’inventaires. La ville est devenue exemplaire à tel point qu’elle n’a cessé d’être sollicitée par les associations, les collectivités, les étudiants pour faire valoir son expérience. Véritable laboratoire à ciel ouvert pour la biodiversité, elle a par ailleurs été choisie pour accueillir le projet d’étude CUBA, qui analyse le déplacement des espèces avec les techniques les plus avancées de la recherche scientifique.
Quelles retombées mesurables peut-on attendre des ces Assises ?
Les retombées sont attendues à une échelle bien plus large que le local. En effet, les Assises sont l’occasion de faire un état des lieux de la biodiversité partout en France et de comparer nos expériences afin de perfectionner nos actions. A l’issue de ce temps fort, seront définies les grandes orientations à venir pour la préservation de notre territoire par tous ceux qui interagissent dans le domaine environnemental : collectivités locales, associations, secteur privé. A l’heure de la conférence environnementale lancée par le président de la République François Hollande et, le mois prochain, de la conférence onusienne à Hyberabad (Inde), il faut faire poids face aux décideurs nationaux et faire pression sur le gouvernement pour obtenir des lois qui vont dans le sens de notre action, comme le contrôle des pesticides dans le domaine agricole.
Quelles ont été les retombées des premières Assises de Pau ?
L’année dernière, les Assises de Pau ont été une première démarche très concluante pour tous les acteurs, qui ont montré une réelle détermination à changer les choses ; 300 personnes y étaient présentes. A Grande-Synthe, nous comptons déjà 700 inscrits, preuve que la biodiversité en une année est devenue pour beaucoup une préoccupation majeure. Nous avons également souhaité inviter des personnalités très engagées dans le développement durable et qui sont des références : le botaniste Jean-Marie Pelt, le paysan philosophe Pierre Rabhi, les agronomes Claude et Lydia Bourguignon, le pionnier de l’agriculture biologique Philippe Desbrosses. Leur parole aura, espérons-le, un grand retentissement parmi l’assemblée.
Grande-Synthe est “la” ville industrielle de toute la Côte d’Opale appelée à devenir une terre de tourisme plus large qu’elle n’est aujourd’hui. Comment faire de l’industrie une activité moins rédhibitoire pour les touristes qui traversent notre région ?
Grande-Synthe est passée en quelques années du gris au vert. Même dans un territoire industriel, on peut soigner le cadre de vie. L’obtention de la Fleur d’or, ultime récompense décernée par les Villes et Villages fleuris en 2009, le prouve. A Grande- Synthe, 95% des habitants habitent à moins de 300 mètres d’un parc ou d’une zone naturelle. La nature a retrouvé toute sa place en ville. Citons l’exemple de l’écopâturage mis en place : désormais les moutons et les vaches remplacent les tondeuses à gazon dans les prairies municipales. Bientôt, des chevaux de trait auront des missions aussi dans la ville. Tous ces efforts contribuent à atténuer l’image industrielle de notre territoire et, forcément, profitent au tourisme.
Votre ami Arnaud Montebourg parle des liens existants ou à créer entre les ressources du vivant (de la biodiversité) et une manière solidaire de les exploiter.Quelle place ont les dimensions sociale,solidaire et coopérative dans la gestion et la sauvegarde du patrimoine vivant des territoires ?
La gestion de la nature revêt en effet un caractère profondément social et solidaire. Les espaces verts sont en effet des espaces de rencontre entre les habitants, qui tissent du lien social dans les quartiers. Ils contribuent au bien-être des personnes. La nature est un espace d’animation et d’éducation citoyenne : fête champêtre, Rendez-vous aux jardins, Week-end nature sont autant d’événements organisés par la ville avec les habitants, les écoliers, et qui participent au vivre-ensemble. Soulignons également la mise en place des jardins partagés : des résidents d’un même immeuble partagent un potager et bien plus que cela : des conseils, des savoir-faire, des moments de vie. Ils retrouvent une certaine autonomie alimentaire, contribuant à augmenter leur pouvoir d’achat et un certain rapport à la nature. Il y a un coût qui n’est jamais pris en compte lors des prises de décisions, c’est celui des apports écosystémiques. Par exemple, la pollinisation effectuée par les abeilles, si elle devait être faite par l’homme (quand bien même ce serait possible) a été chiffrée à 15 milliards de dollars par an. L’emploi inconsidéré de pesticides, d’engrais et d’herbicides pour soi-disant améliorer les rendements entraîne la disparition de celles-ci. A-t-on mesuré tous les enjeux en nous lançant tête baissée dans l’agriculture intensive qui promeut ces pratiques ?