Numérique
Droit à l’oubli vs liberté d’information : une décision intéressante
Pour s’appliquer, le "droit à l’oubli" numérique, consacré par le RGPD, doit concilier protection des données personnelles, respect de la vie privée et droit à l’information du public. Des droits fondamentaux que les tribunaux mettent en balance en cas de demande de déréférencement. Illustration avec une récente décision.
Erreur
de jeunesse ? Nouveau départ ? Il
arrive souvent que des personnes au passé agité (condamnées
pénalement, notamment) soient confrontées, plusieurs années après,
à des difficultés de réinsertion liées à la persistance, sur
Internet, d’articles de presse relatant leur procès pénal et leur
condamnation.
C’est
l’expérience qu’a pu, à son tour,
faire un ancien responsable du Racing Club de Paris qui avait
été condamné, en 2009, pour abus de confiance et abus de biens
sociaux par le tribunal correctionnel de Nanterre. À l’époque, le
journal 20 minutes avait publié, sur son site Internet, un article relatif à cette
condamnation. Dix ans après, l’article était toujours consultable
sur Internet, accessible à partir d’une requête effectuée sur
les principaux moteurs de recherche avec les nom et prénom de
l’ex-responsable sportif condamné, qui souhaitait désormais
tourner la page.
C’est dans ce contexte qu’une mise en demeure avait été adressée, sans succès, au journal gratuit, afin que l’article soit supprimé ou, à tout le moins, anonymisé pour qu’il ne soit plus indexé par les moteurs de recherche. La demande était fondée sur le droit au déréférencement et le droit d’opposition, consacrés par le RGPD, Règlement général sur la protection des données, applicable en France depuis 2018.
Saisi
de la demande judiciaire adressée au journal, suite à l’échec
des demandes amiables, le tribunal de Nanterre, a procédé à la
mise en balance du droit à la protection des données personnelles
et des autres droits fondamentaux, parmi lesquels, notamment, le
droit à l’information, revendiqué par le titre de presse.
Décision
Il
a ainsi, rappelé, dans un jugement rendu le 30 juin dernier, que,
s’agissant de l’article 17 du RGPD concernant le droit au
déréférencement, également appelé "droit à l’oubli",
et l’article 21 relatif au droit d’opposition, les éditeurs de
presse bénéficient d’un régime dérogatoire prenant en compte le
caractère essentiel de leur activité pour la préservation de la
liberté d’expression et d’information. L’activité de presse
n’est, en effet, comme l’a rappelé la juridiction, pas
assimilable à celle d’un moteur de recherche, qui est de publier
de l’information, et non de la repérer.
Ainsi,
pour le tribunal, la mesure demandée, « serait de nature,
compte tenu de son objet étroitement lié à la condamnation et aux
circonstances de son prononcé, à faire perdre pour le public tout
intérêt à l’article en cause, et excéderait dès lors les
restrictions pouvant être apportées à la liberté de la presse ».
L’atteinte
au droit au respect de la vie privée relativisée
L’ancien
responsable du Racing Club de Paris avait aussi mis en avant
l’ancienneté de l’information, qui datait de plus de dix ans. Là
encore, le tribunal a retenu que, la mise en ligne des archives du
journal, via un site Internet
permettant la consultation d’articles plus anciens,
participe aussi « à
la formation de l’opinion démocratique »
et permet au public, « à cette fin, d’être
informé non seulement des évènements d’actualité, mais aussi
d’informations plus anciennes conservant une pertinence au regard
du sujet d’intérêt général évoqué dans l’article en
cause(...) ».
Il
en a conclu que « l’article ne constitue pas,
contrairement à ce que soutient le demandeur, une atteinte
disproportionnée au droit au respect de sa vie privée qui serait de
nature à remettre en cause ce constat ». Ce « dès lors
que la condamnation pénale évoquée dans l’article a déjà été
prononcée en audience publique et a fait l’objet de divers
articles de presse, ce qui est de nature à relativiser l’atteinte
éventuellement portée par son rappel dans l’article, et qu’il
n’est d’autre part pas justifié d’une diffusion importante »
de celui-ci.
Cette
décision compromet nettement les démarches, très fréquentes, qui
sont adressées par des personnes condamnées ayant pourtant purgé
leur peine et souhaitant se réinsérer dans la société, à des
titres de presse dont les sites Internet constituent une mémoire
numérique inaltérable... mais beaucoup plus impactante que la
mémoire humaine, dont "l’usure" permet de laisser à
ces personnes une réelle chance de "repartir de zéro"...