Patrimoine
Domaine de Tailly : dans l’antre du Maréchal Leclerc de Hauteclocque
En 1925, pour son mariage, Philippe de Hauteclocque reçoit le domaine de Tailly en cadeau. Il y était si attaché qu’il a baptisé Tailly, un char et l’avion dans lequel il a trouvé la mort en 1947. Une belle exposition gratuite lui rend hommage dans une des dépendances jusqu’au 30 septembre de 10 heures à 18 heures.
Au fur et à mesure que l’on avance dans l’allée de 500 mètres de long bordée d’arbres et que l’on se rapproche du château de Tailly, l’émotion monte. Cette belle demeure en pierre du XVIIIe siècle, pourtant si sobre et si simple, en impose de sobriété, de sérénité et de présence. Sur la gauche, un buste en pierre du Maréchal Leclerc de Hauteclocque semble accueillir les visiteurs et vous rappelle que c’est ici que le futur libérateur de Paris venait se ressourcer en famille.
Né à quelques kilomètres de là, au château de Belloy-Saint-Léonard en 1902, Philippe de Hauteclocque, cinquième enfant d’une fratrie de six, se voit offrir à son mariage le domaine de Tailly en 1925. Cette même année, il sort major de l'école d'application de la cavalerie de Saumur. De 1932 à 1938, la famille habite une maison, face à la gare de Saint-Cyr-l’École. Il est alors capitaine et instructeur à l’école spéciale militaire.
« Avant la Seconde Guerre mondiale, mes grands-parents séjournaient à Tailly durant les permissions et les vacances, souligne Bénédicte Leclerc de Hauteclocque Coste, l'une de ses petites-filles. Mon grand-père n’est pas venu durant le conflit, ma grand-mère et ses six enfants s’y sont eux réfugiés. Ils ont du cohabiter avec les Allemands, qui occupaient le château. Personne ne savait qu’il avait pris le nom de Leclerc pour protéger sa famille. Les deux aînés, dont mon père Hubert, étaient pensionnaires à la Providence à Amiens, comme l’a été mon grand-père, ils revenaient pour les vacances. En 1946 et 1947, mon grand-père est venu quelques jours pour les ouvertures de la chasse. Mon père a géré la propriété dès la mort de son père fin 1947, il avait 20 ans. »
N’acceptant pas l’Armistice de 40, Philippe de Hauteclocque traverse au péril de sa vie la France en passant les lignes allemandes, rallie de Gaulle (c’est alors le début d’une longue amitié entre les deux hommes), part pour l’Angleterre en juillet 40 avant de se rendre en Afrique.
Entre temps, il a réussi à faire fabriquer de faux papiers au nom de François Leclerc. Début août, il parvient donc en Afrique équatoriale. Rassembleur hors normes, il convainc les autorités du Tchad, du Cameroun et du Congo de rallier la France libre. De Gaulle nomme Leclerc colonel alors que ce dernier s’est déjà auto-attribué ce grade… Durant ce temps, en France, en octobre 1941, il est sous le coup d’une condamnation à la peine de mort pour crimes et manœuvres contre l’unité et la sauvegarde de la patrie, prononcée par la cour martiale du Gouvernement de Vichy.
Inlassablement, durant de longs mois, celui qui est devenu général poursuit la constitution de ce qui deviendra la 2e Division blindée le 24 août 1943, forte de 15 000 hommes de 22 nationalités et de toutes confessions. Arrivée en Angleterre en avril, la 2e DB débarque le 1er août dans la Manche avant de libérer Paris le 25 août 1944.
Le général revient quelques heures à Tailly. Un vrai soulagement pour sa famille sans nouvelles depuis quatre ans. Il emmène deux premiers fils mineurs, Henri et Hubert, pour prendre la direction de l’est. Strasbourg est libérée le 23 novembre 1944 : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg », avait-il demandé à ses hommes le 2 mars 1941 dans le désert Libyen lors d’une première victoire à Koufra.
La 2e DB se rend en Allemagne, découvre l’enfer des camps de concentration puis prend dans la nuit du 4 au 5 mai 1945 le "nid d’aigle" d’Hitler, situé au-dessus de Berchtesgaden, dans les Alpes bavaroises, avant les Américains. Le 18 juin 45, il défile sur les Champs-Élysées à bord d’un char sur lequel six lettres blanches se détachent : Tailly. En novembre 1945, il obtient le droit du Conseil d’État l’autorisation pour lui même et ses descendants de porter le nom de Leclerc.
Malheureusement, le 28 novembre 1947, au cours d'une tournée d'inspection en Afrique du nord, l'avion du général baptisé aussi Tailly est pris dans une mortelle tempête de sable. Le choc est immense pour sa famille et la nation française. Il repose aux Invalides mais son nom figure sur le caveau familial de Warlus. Cinq ans après sa disparition, le Parlement vote à l’unanimité la loi qui élève à la dignité de maréchal de France le général d’armée.
« Je crois qu’il aimait Tailly car c’était son nid familial, sa demeure, proche de Belloy, lieu de son enfance qu’il adorait et des endroits qu’il connaissait pas cœur, poursuit sa petite-fille. Il appréciait aussi beaucoup les gens du village. Il y a eu toujours une bonne ambiance qui régnait. La maison en elle-même lui plaisait, j’imagine car c’est une architecture pure, belle sans chichi. J’ai un coup de cœur chaque fois que je rentre dans cette avenue comme nous l’appelons. Mon père l’avait aussi tout comme je le pense mon grand-père. »
Didier Guillerand, historien et écrivain local, a épaulé Bénédicte Leclerc de Hauteclocque Coste dans la conception et le montage de l’exposition permanente modernisée présentée depuis quelques semaines dans une des dépendances du château. Très complète et pédagogique, elle évoque notamment l’enfance du futur maréchal au château de Belloy-Saint-Léonard. On le découvre féru de chasse dès le plus jeune âge.
Didier Guillerand assure des visites guidées lors notamment des Journées du patrimoine. Il se place devant le garage du château, peint en rouge et qui présente une drôle d’extension : « Une Horch décapotable, appartenant au secrétaire particulier d’Hitler, lui a été offerte après la prise du "nid d’aigle", narre t-il. Elle était si grande que le garage a du être transformé pour pouvoir l’abriter. »
Devant le fronton principal du château, il évoque les armes gravées de la famille. À l’arrière, il montre l’insigne de la 2e DB figé dans la pierre. Deux hommages rendus par Hubert Leclerc de Hauteclocque, son fils. Il aime aussi emmener le public dans les anciennes écuries restées dans leur jus où a été accrochée une plaque de classement à un concours de sauts d’obstacles.
« C’était un excellent cavalier, informe-t-il. Savez vous qu’Iris XVI, une de ses montures célèbre pour avoir remporté de nombreuses épreuves, a été le seul cheval qui a été exécuté pour acte de résistance ? Le 14 juin 1940, un commandant allemand avait demandé à le voir à Saint-Cyr car il avait battu le sien dans le passé. Malheureusement, Iris XVI avait donné un violent coup de sabot au soldat allemand qui le tenait. Il était mort sur le coup ce qui lui a valu de passer devant un peloton d’exécution de douze hommes. » Leclerc, qui boîtait suite à un accident arrivé avec ce cheval et avait besoin d’une canne, aurait déclaré : « Il était aussi patriote que son maître. » Il avait accroché une toile, qui y est toujours, le représentant dans son bureau de Tailly.
Didier Guillerand ne cesse d’en apprendre sur le maréchal. Il est toujours impressionné par son héroïsme : « C’est extraordinaire d’avoir une vision aussi large de ce qu’on peut faire pour son pays avec une telle vision dans le temps, estime t-il. Cela n’est pas possible sans une certaine éducation familiale, une formation… C’est incroyable aussi de se dire qu’il sortait de deux petits villages. Il a prouvé que lorsque l’on a de la volonté, du caractère, que l’on se donne un but, alors tout est possible. C’est pour cela qu’il faut transmettre cette histoire, en particulier aux plus jeunes. Car il est encore très présent dans la mémoire des anciens. »