Devoir de vigilance: La Poste partiellement condamnée, une première

La justice a estimé mardi que La Poste, qui avait été assignée par le syndicat Sud PTT au sujet des conditions d'emploi de travailleurs sans papiers au sein de ses filiales, avait partiellement manqué...

Un bureau de poste à Toulouse, le 4 avril 2019 © PASCAL PAVANI
Un bureau de poste à Toulouse, le 4 avril 2019 © PASCAL PAVANI

La justice a estimé mardi que La Poste, qui avait été assignée par le syndicat Sud PTT au sujet des conditions d'emploi de travailleurs sans papiers au sein de ses filiales, avait partiellement manqué à son "devoir de vigilance", une première.

Le tribunal judiciaire de Paris a enjoint au groupe de compléter son plan de vigilance "par une cartographie des risques", selon un communiqué publié mardi.

Il s'agit de "la première décision au fond rendue par une juridiction" faisant application de la loi relative au devoir de vigilance, a précisé l'institution.

Cette loi de 2017 oblige les grandes sociétés françaises à publier un plan de vigilance sur les risques humains et environnementaux de leurs activités, y compris au sein de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants. 

"C'est une victoire majeure et décisive, qui donne toute sa portée à la loi, un succès crucial et l'aboutissement d'un long combat", a salué auprès de l'AFP l'avocate de Sud PTT Céline Gagey.

"La justice a estimé que le plan de vigilance n'était pas adapté aux risques, en l’occurrence les conditions de travail des travailleurs sans papiers" au sein des filiales Chronopost et DPD France, a-telle poursuivi.

"Il convient de rappeler que cette loi n’a fait l’objet d’aucun décret d'application ou de lignes directrices, laissant les entreprises qui y sont soumises dans une grande incertitude juridique, en l’attente de l’adoption de la Directive européenne sur le devoir de vigilance", souligne La Poste, qui "réitère son entière adhésion aux valeurs prônées par la loi" et "prend acte" de cette décision, selon une déclaration transmise à l'AFP.

Dans sa décision, le tribunal estime que "l'étape initiale de la cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation (...) n'est pas conforme aux exigences légales en raison de son imprécision".

Pas d'astreinte

Le tribunal en déduit que "le plan de vigilance ne permet pas de mesurer si la stratégie d'évaluation (...) est conforme à la gravité des atteintes et couvre réellement les risques identifiés comme prioritaires".

Il demande en conséquence à La Poste "d'établir des procédures d'évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques".

La Poste devra aussi compléter son plan par "un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir procédé à une concertation des organisations syndicales représentatives" et "publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance".

Le tribunal, "constatant que la Poste faisait preuve d'une démarche dynamique d'amélioration de son plan de vigilance chaque année", n'a toutefois pas assorti cette décision de l'astreinte financière réclamée par le syndicat.

Le tribunal a également rejeté plusieurs autres demandes de Sud PTT: celle tendant à intégrer dans le plan la liste des sous-traitants et fournisseurs, ainsi que celle demandant à La Poste "d'établir des mesures de sauvegarde se rapportant à la sous-traitance, à la prévention des risques sociaux et à la lutte contre le harcèlement".

La Poste s'engage à continuer à déployer ses meilleurs efforts pour prévenir les atteintes graves aux droits humains, libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, y compris dans le cadre de ses activités sous-traitées.

Le syndicat, qui lui reprochait des "insuffisances manifestes" dans la rédaction et la mise en œuvre de son plan de vigilance, avait fini par assigner le groupe devant la justice en 2021.

Un nombre croissant de multinationales se voient reprocher de ne pas respecter leur devoir de vigilance, telles TotalEnergies, Suez, BNP Paribas, Casino, Yves Rocher ou encore Teleperformance.

A ce jour, aucune procédure n'avait abouti à une condamnation.

Pour Céline Gagey, la décision de mardi signifie que les grands groupes "ne pourront plus se cacher derrière leurs sous-traitants" et que "les plans de vigilance ne seront plus juste une mesure de communication mais quelque chose de concret".

En juin dernier, le Parlement européen a voté des dispositions pour imposer aux entreprises de l'Union européenne un "devoir de vigilance", dont le texte doit encore être négocié avec les États membres.

sr/jbo/LyS

34724YC