Déserts médicaux: des heures de route pour voir un docteur

"Tant que je peux conduire, ça va...". Entre médecin traitant à la retraite et manque de spécialistes dans leur région, de nombreux Français doivent parcourir...

Six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années, dont 50% en raison de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et un tiers à cause de l’éloignement géographique © FRANCK FIFE
Six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années, dont 50% en raison de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et un tiers à cause de l’éloignement géographique © FRANCK FIFE

"Tant que je peux conduire, ça va...". Entre médecin traitant à la retraite et manque de spécialistes dans leur région, de nombreux Français doivent parcourir de longues distances pour consulter. 

"A Paris, au moins, on a des rendez-vous rapidement", dit Martine Duhamel, 77 ans, habitante de La Ferté-Vidame (Eure-et-Loir), qui a renoncé aux consultations dans son département pour les soins ophtalmologiques de son mari.

L'ophtalmologue "est à Verneuil-sur-Avre à 20 km", il "opère à Evreux à au moins une heure trente de route" et il faut "six mois" pour obtenir un rendez-vous. Mêmeparcours semé d'obstaclespour trouver un scanner : "Il faut aller à Dreux ou à Chartres", à une heure de route.

"On vit un peu dangereusement, mais tant que je peux conduire, ça va...", souffle-t-elle. 

Émilie Delaunay, 33 ans, de Cherbourg (Manche), doit elle aussi rouler des kilomètres, faute de gynécologue spécialisé dans la région pour soigner ses douleurs liées à l'endométriose: "Trois heures/trois heures trente quand j'ai les moyens de payer l’autoroute, quatre heures quand je suis obligée de passer par la nationale". Avec "l'obligation de poser une journée au travail".

Selon le baromètre IPSOS 2024 de la Fédération hospitalière de France (FHF), "le temps d’accès aux services de soins a augmenté de manière significative en cinq ans".

Pour aller chez un pharmacien, les Français estiment à 13 minutes en moyenne leur temps d'itinéraire, contre neuf min en 2019. Pour aller aux urgences, le temps est actuellement évalué à 28 minutes, contre 23 minutes il y a cinq ans.

Une différence plus marquante lorsque l'étude compare les trajets réels en zone rurale et en milieu urbain. Un habitant des villes se rend chez l'ORL en 33 minutes, un rural roule 57 minutes pour consulter. 

Consultation au téléphone

La durée entre la prise de rendez-vous et la consultation s'allonge elle aussi: il fallait quatre jours en 2019 pour consulter un généraliste, il en faut aujourd'hui dix, selon l'enquête de la FHF. 

Résultat: six Français sur dix ont déjà renoncé à au moins un acte de soin au cours des cinq dernières années, dont 50% en raison de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous, et un tiers à cause de l’éloignement géographique, selon le baromètre IPSOS.

Dans une enquête d'avril 2024, la Fondation Jean Jaurès a cartographié cette distance aux praticiens. 

Elle est plus marquée "dans la +diagonale du vide+, cet espace d’une largeur d’environ 200 kilomètres glissant de la Meuse à la Creuse, qui se poursuit de façon plus diffuse jusqu’aux Pyrénées", constate l'étude. 

En Dordogne, qui est l'un des départements les plus pauvres en généralistes par habitant, Margaret Méchin, 75 ans, n'en finit plus de chercher un médecin traitant. "Personne à Bergerac n'avait voulu reprendre trois personnes âgées: ma mère (décédée depuis, NDLR), mon conjoint et moi". 

A Bonneville (Haute-Savoie), Charlotte a beaucoup de difficulté à assurer le suivi de sa fille de huit ans, épileptique. Dans l'hôpital le plus proche, à Contamine-sur-Arve,  "il n’y a qu'un seul docteur qui suit l'épilepsie. Il est tellement débordé qu’on ne le voit plus". 

Les consultations avec le médecin ne se font que par téléphone, le soir, raconte-t-elle.

"Il y a des endroits où les gens sont obligés de faire 150 ou 200 km pour avoir accès" à un électro-encéphalogramme, confirme le docteur Norbert Khayat, médecin pédiatre et spécialiste de l'épilepsie à Lyon.

"Cela entraîne des retard de prise en charge, ou des erreurs de diagnostic", regrette-t-il. "Des patients trouvent que c'est trop compliqué et ne se soignent plus".

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