Des routiers de l'Est en grève depuis dix semaines en Allemagne

Sur une aire d'autoroute allemande, à des milliers de kilomètres de chez eux, des chauffeurs routiers campent dans leurs camions depuis dix semaines, dans un bras de...

Un routier en grève marche devant un camion sur lequel est écrit "No Money" (pas d'argent) sur l'aire d'autoroute de Gräfenhausen, près de Francfort en Allemagne, le 22 septembre 2023 © Kirill KUDRYAVTSEV
Un routier en grève marche devant un camion sur lequel est écrit "No Money" (pas d'argent) sur l'aire d'autoroute de Gräfenhausen, près de Francfort en Allemagne, le 22 septembre 2023 © Kirill KUDRYAVTSEV

Sur une aire d'autoroute allemande, à des milliers de kilomètres de chez eux, des chauffeurs routiers campent dans leurs camions depuis dix semaines, dans un bras de fer acharné avec leur employeur polonais.

Originaires pour la plupart d'Ouzbékistan et de Géorgie - pour quelques-uns de Turquie, du Tadjikistan et d'Ukraine- ces quelque 80 hommes n'ont plus quitté l'aire de Gräfenhausen, près de Francfort, depuis le mois de juillet.

Leurs camions aux bâches bleus font office de bivouac dans lesquels la survie s'est organisée. La semaine dernière, plusieurs y ont mené cinq jours de grève de la faim, allongés dans la remorque.

"Il n'y avait plus rien d'autre à faire", assure à l'AFP Roman Gujabidze, routier géorgien de 60 ans, décrivant cette grève comme "l'ultime espoir". 

Les grévistes affirment ne pas être payés régulièrement -- au tarif journalier d'environ 80 euros -- et être soumis à des horaires de travail excessifs.

"Je veux juste recevoir l'argent qui m'est dû", explique par le biais d'un interprète M. Gujabidze, employé depuis septembre 2022 par le même employeur polonais.

L'un de ses compagnons d'infortune, Fayzullo Nematov, raconte qu'il désespère de pouvoir envoyer l'argent qu'on lui doit à son épouse, ses enfants et sa mère en Ouzbékistan. "Je suis le seul à gagner de l'argent", explique-t-il.

Leur travail les conduit loin de leur famille pendant des semaines, circulant entre Allemagne, France, Italie, Autriche, Pays-Bas et Suisse. 

Au total, ils réclament un demi-million d'euros d'impayés alors que leur employeur conteste tout manquement à ses obligations contractuelles.

Les chauffeurs travaillent pour plusieurs filiales du groupe de transport Mazur, qui compte une importante flotte et d'importants commanditaires. 

Dans un communiqué transmis à l'AFP, le groupe assure que tous les salaires ont été payés "dans les délais" tandis qu'une récente visite de l'inspection du travail n'a "pas relevé d'irrégularités dans le paiement de salaires".

L'entreprise dément également les allégations selon lesquelles elle exige de la part des chauffeurs des frais indus pour qu'ils obtiennent des visas ou des recommandations de travail.

Une grève "sans précédent

Sur l'aire de Gräfenhausen, les routiers dont on entend d'ordinaire peu parler, affirment au contraire qu'ils ne font que réclamer les salaires décents promis à leur embauche. 

Ils reçoivent certes régulièrement de petites indemnités pour leurs repas mais pas toute leur paie, qu'ils attendent parfois pendant des mois, selon eux.

Une grève d'une telle durée est "sans précédent" dans l'histoire des routiers européens, affirme Edwin Atema, qui appartient au syndicat néerlandais FNV représentant les routiers à travers l'Europe. 

"Pour les chauffeurs, c'est très dur mentalement et physiquement. Ils sont totalement exploités, ils n'ont pas d'argent, ils ne peuvent pas nourrir leurs enfants", explique-t-il à l'AFP.

Le conflit porté sur l'aire d'autoroute allemande est symptomatique des dysfonctionnements du transport routier en Europe, selon lui.

Selon les syndicats qui défendent les chauffeurs, des constructeurs automobiles allemands ou de grandes chaînes de supermarché ont fait appel aux services du transporteur polonais, même si le nom de l'entreprise n'apparaît pas toujours dans la chaîne d'approvisionnement. 

C'est précisément cette dilution des responsabilités que contestent les syndicats. 

Les clients des transporteurs, "essayent de se décharger de leurs responsabilités" en se cachant derrière l'entreprise qui emploie les camionneurs, affirme M. Atema. 

Les entreprises commanditaires "ont une responsabilité envers toutes les personnes impliquées dans la chaîne d'approvisionnement", insiste le syndicat allemand Ver.di, plus grande centrale de la branche des services

"Tant que les biens sont transportés, tout le monde se fiche de savoir si les routiers sont exploités", déplore M. Atema.

L'entreprise polonaise assure par ailleurs que selon les contrats passés avec les routiers, "chaque chauffeur décide lui même combien de temps il veut travailler et quand il fait ses pauses". 

Elle ajoute: "certains travaillent pour nous durant plusieurs mois de façon continue, d'autres seulement quelques jours par mois". 

Les routiers et les employeurs ont réciproquement porté plainte les uns contre les autres. Leurs griefs sont actuellement entre les mains de la justice.

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