Bilan 2023 de l’Autorité environnementale nationale

Des recommandations trop peu suivies

La présentation du bilan 2023 de l’Autorité environnementale nationale et des missions régionales a été l’occasion de pointer l’insuffisante prise en compte et la médiocre évaluation des impacts environnementaux des projets soumis à leur avis, et le faible suivi des recommandations émises.

Concernant les parcs photovoltaïques au sol, l’Autorité pointe la difficulté de ces projets à concilier l’ensemble des enjeux environnementaux. ©Florent
Concernant les parcs photovoltaïques au sol, l’Autorité pointe la difficulté de ces projets à concilier l’ensemble des enjeux environnementaux. ©Florent

« Dans une démocratie mature, l’évaluation environnementale ne doit pas seulement être vécue comme une contrainte », estime le président de l’Autorité environnementale, Laurent Michel, en introduction du rapport annuel 2023 de l’institution, publié le 9 juillet dernier. Comme les années précédentes, l’Autorité regrette l’insuffisante prise en compte des enjeux climatiques et de la biodiversité par les porteurs de projets ou de programmes, et le fait que ces derniers considèrent trop souvent l’évaluation environnementale comme « un passage obligé », préalable à l’autorisation, sans réelle volonté d’améliorer les projets, sur la base des recommandations émises (cf encadré).

Évaluer pour informer et améliorer

Composée d’une vingtaine de membres, ingénieurs et personnalités qualifiées nommés par le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, l’Autorité environnementale délivre des avis sur les impacts environnementaux des projets publics ou privés dont elle est saisie (selon des seuils fixés par le Code de l’environnement). Objectif : permettre aux maîtres d’ouvrage de les améliorer et informer le public, les associations et les commissaires-enquêteurs chargés de conduire les enquêtes publiques préalables à la réalisation de projets ou l'approbation de plans ou programmes dans de nombreux domaines.

L’Autorité environnementale nationale traite des projets relevant d’une échelle nationale ou de certains maîtres d’ouvrage identifiés par la loi, et les vingt missions régionales (13 dans l’Hexagone et 7 Outre-mer) examinent des projets dont les impacts sont régionaux ou locaux. Publics et publiés, ces avis sont consultatifs et ne peuvent pas interdire la réalisation des projets concernés. L’évaluation environnementale et les recommandations qui en découlent doivent néanmoins permettre d’améliorer les projets selon le triptyque « éviter - réduire - compenser ».

Projets d'ENR : 40% des saisines

Installations industrielles, infrastructures de transports, aménagements urbains, parcs photovoltaïques, usines de traitement de déchets, installations nucléaires… La liste des projets examinés est longue et variée et comprend également les plans et programmes environnementaux ou d’aménagement (schémas directeurs de gestion des eaux, plans sur l’énergie et le climat, les déchets, documents d’urbanisme…). En 2023, l’Autorité a ainsi rendu 141 avis, portant sur 83 projets et 58 plans et programmes. À l’échelle nationale, les projets d’énergies renouvelables (EnR) ont constitué 40% des saisines de l’Autorité, suivis des projets d’aménagement (25%) et d’installations industrielles hors installations d’énergie (15%), et de tout un panel de projets de différentes natures.

Spécificités territoriales

Si dans certaines régions la nature des saisines est assez variée, on observe aussi des « spécificités territoriales », a relevé Véronique Wormser, membre de l’Autorité environnementale nationale et présidente de la mission régionale Auvergne Rhône-Alpes, lors de la présentation du bilan de l’activité 2023 à la presse. « La Nouvelle Aquitaine est la région qui a le plus d’avis photovoltaïques en 2023. Pour l’éolien, c’est la région Grand Est. Pour les aménagements, c’est l’Île-de-France. Pour le tourisme et les loisirs, c’est la région Rhône-Alpes. Pour la logistique, c’est le Centre Val-de-Loire. Pour l’industrie, les Hauts-de-France… », a-t-elle précisé.

Parcs photovoltaïques au sol

Dans son rapport, l’Autorité a choisi, cette année, de faire un focus sur quatre sujets. Le premier est la place prépondérante qu’occupe actuellement les saisines pour des projets ENR, et en particulier de parcs photovoltaïques au sol. « Pourquoi tant de développements sur des milieux naturels et agricoles, et pas sur des surfaces déjà artificialisées comme on s’y attendrait ? », a regretté la représentante de l’Autorité, tout en constatant la persistance de la difficulté de ces projets à concilier l’ensemble des enjeux environnementaux.« Produire de l’énergie à partir de ressources renouvelables, c’est très positif, mais attention aux autres enjeux environnementaux en présence, et en particulier la biodiversité, les sols, et le paysage. »

Le principe du ZAN pas encore intégré

Un autre focus concerne l’urbanisme opérationnel, et notamment l’aménagement urbain. Sur ce terrain, l’Autorité constate « une amélioration progressive de la prise en compte du changement climatique dans les projets », et en particulier « des nuisances – et notamment de la pollution des sols, de l’air, et des nuisances sonores – et sur la gestion économe des espaces », a-t-elle poursuivi. Mais, sur ce dernier point, « on constate encore que, globalement, le premier critère d’implantation d’un projet c’est la disponibilité foncière ». Or, « tant qu’on sera sur ce système-là, on va voir du mal à intégrer les objectifs et la trajectoire d’absence d’artificialisation nette des sols [ZAN] qui est fixée pour 2050 ». Aujourd’hui, « il y a des améliorations », mais « tant que l’on n’a pas intégré ce principe de gestion économe de l’espace dans les PLU et dans les cartes communales, la trajectoire va être très difficile à maintenir et on va avoir du mal à atteindre cet objectif qui s’impose à tous ».


Avis et recommandations sur les projets de Dunkerque

En 2023, l’Autorité environnementale s’est notamment prononcée sur le projet de parc éolien en mer de Dunkerque et son raccordement. D’une superficie de 50 km², il est situé dans le site Natura 2000 Bancs des Flandres (fonds constitués de bancs de sable et de dunes hydrauliques), à la croisée de plusieurs voies de migration d’oiseaux. Un raccordement à une ligne de haute tension aérienne existante est prévu, dans la zone du grand port maritime. Dans ses recommandations, l’Autorité demande notamment de justifier les raisons qui ont conduit l’État à choisir une implantation dans une aire marine protégée, (face à la station balnéaire de Malo-les-Bains), et d’apporter « une attention particulière aux enjeux de biodiversité dans le choix des prochains appels d’offres en matière d’éolien en mer ».

L’Autorité s’est également prononcée, à deux reprises, sur le projet CAP 2020 qui doit permettre au port de Dunkerque de doubler sa capacité d’accueil de conteneurs, grâce à l’extension des quais du port ouest, l’agrandissement du bassin de l’Atlantique et la création d’un nouveau terminal portuaire. Dans son premier avis, elle a jugé sévèrement l’étude d’impact, « médiocre » pour un projet d’une telle ampleur, et relevé de « graves erreurs » d’interprétation de la réglementation, l’absence de prise en compte de l’enjeu « essentiel » de l’artificialisation des sols, une nette « sous-estimation » des besoins de compensation à la dégradation des milieux naturels et l’inadaptation des mesures proposées au regard des nombreuses atteintes à des espèces protégées. Les compléments apportés au projet à l’issue de ce premier avis n’ont pas conduit l’Autorité « à modifier substantiellement ses recommandations », dans son second avis.