Des pistes pour contenir le coût économique et social de la transition climatique
Ralentissement économique, réallocations sur le marché du travail, inégalités face aux investissements à réaliser, alourdissement de la dette publique, risque inflationniste… Un récent rapport de France Stratégie évalue les impacts potentiels de la transition climatique au plan macro-économique. Eclairage.
« La neutralité climatique est atteignable ». Tel est le tout premier message du rapport commandé à France Stratégie par la Première ministre, Élisabeth Borne, sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat ». Mais cela suppose une transformation comparable aux grandes révolutions industrielles passées, même si, contrairement à ces dernières, elle sera « plus rapide » et « pilotée d’abord par les politiques publiques, et non par les innovations technologiques et les marchés ».
Un coût économique et social
Atteindre les objectifs climatiques que la France s’est fixée pour 2030 et la neutralité carbone en 2050 implique une accélération « brutale », soulignent l’économiste Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances, auteurs du rapport, et tous les secteurs devront y contribuer. La décarbonation va nécessiter des investissements massifs et leur financement va probablement induire un coût économique et social : d’ici 2030, la transition risque d’entraîner « un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an », ainsi que « des réallocations sur le marché du travail ». De plus, la transition est « spontanément inégalitaire » : les investissements nécessaires à titre individuel - pour la rénovation du logement et l’achat d’un véhicule électrique notamment - sont, en effet, difficiles à financer sans soutien public, y compris pour les classes moyennes.
La nécessaire contribution des finances publiques
« Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti », estiment les rapporteurs, et c’est pourquoi « les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l’effort », pour soutenir les ménages et les entreprises. Ces nouvelles dépenses, combinées à une potentielle baisse des recettes fiscales liée au ralentissement économique, devraient alourdir encore la dette publique de la France. « Il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique », écrit France Stratégie, car cela ne ferait que repousser les efforts à réaliser pour atteindre les objectifs climatiques sur les années suivantes et risquerait « de compliquer encore la tâche des décideurs publics ».
Outre l’endettement, le financement de la transition climatique passera aussi par la réorientation des dépenses publiques (et notamment, des dépenses budgétaires et fiscales liées aux énergies fossiles), et une augmentation des prélèvements obligatoires « sera probablement nécessaire ». Cela pourrait prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, temporaire et calculé en fonction du patrimoine financier des ménages les plus aisés, avance France stratégie.
Risque inflationniste et hétérogénéité des politiques climatiques
Le rapport pointe également le fait que la transition crée un risque de « configuration inflationniste », dans les dix ans qui viennent, et que les banques centrales vont devoir « préciser leur doctrine » pour faire face aux pressions sur les prix : elles devront « au minimum conduire la politique monétaire avec doigté et, sans doute, opérer un relèvement temporaire de leur cible d’inflation ». L’Inflation Reduction Act (IRA), adopté par les États-Unis, montre que tous les pays ne déploient pas les mêmes stratégies pour atteindre leurs objectifs climatiques.
« L’hétérogénéité des politiques climatiques est appelée à perdurer », estime France Stratégie, qui pointe le problème de compétitivité auquel fait face l’Union européenne sur ce terrain : le prix de l’énergie y est élevé, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est « imparfait » et le pari industriel européen est « mis en cause par l’IRA ». C’est pourquoi l’articulation entre la politique européenne et celle des États membres doit être « repensée », afin de mettre en place une nouvelle gouvernance en matière climatique. « L’Europe ne peut pas se permettre d’afficher une grande stratégie climatique, tout en restant dans le flou quant à sa mise en œuvre effective. »
Trouver le bon équilibre
Le rapport conclut que la bonne méthode pour piloter la transition climatique doit reposer sur « un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone », trois instruments dont disposent la France et l’Europe. Mais l’UE « ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire », relève France Stratégie, qui, face à tous ces défis et ces perspectives difficiles, envoie un autre grand message plus encourageant : « Nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. »