Derrière le cas Noyon, la dentelle en sursis
Le Dentellier Noyon est de nouveau en cessation de paiement depuis le 3 janvier dernier auprès du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Moins de deux ans après que trois clients et un partenaire asiatique ne soient entrés pour le «sauver» via une liquidation-cession, le dentellier historique de Calais n’a jamais été aussi proche de la fin.
Après cinq comparutions devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer depuis 2014, Noyon a perdu l’essentiel de son activité et plus des trois quarts de ses salariés. Ses actifs se résument aujourd’hui à la portion congrue : quelques métiers Leavers et machines à tricoter qui commencent à dater. Ses derniers biens fonciers, immobiliers ou ses parts dans ses filiales ont fondu au fil des exercices déficitaires… Depuis sa mise en redressement judiciaire en décembre, le dentellier historique mise le tout pour le tout avec un plan social de 75 départs (sur 181 salariés) dans tous ses services. Le dentellier est en effet passé de 18 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 à probablement moins de 10 millions en 2018, avec des pertes prévisibles de près de 3 millions d’euros. Chez son voisin Desseilles, la situation n’est pas meilleure. Reprise en mars 2017 par le chinois Hangzhou Yongshen Holding, la société a vu sa direction peu à peu écartée et sa production chuter de plus de la moitié. Desseilles affiche un chiffre d’affaires de moins de 5 millions d’euros en 2018, dont 30% avec sa société mère. Son point mort avoisine les 8 millions avec 74 salariés. De plus, son créateur en chef et patron de l’atelier Leavers, l’illustre dessinateur Gérard Dezoteux, a quitté l’entreprise il y a quelques mois, privant ainsi Desseilles de ce qui a contribué à ses derniers succès commerciaux.
“C’est en Asie que se fabriquent les 80% de la dentelle Leavers, autrefois apanage des deux places sœurs. “
Calais
versus Caudry…
Calais est en berne alors que la place aurait pu placer ses espoirs dans la reprise de Noyon il y a à peine un an. Lorsqu’en février 2018, les quatre principaux clients de Noyon avaient formé un tour de table (3 millions d’euros, dont 1 million du Conseil régional) avec une partie des cadres, le tribunal de commerce avait cru voir une solution pérenne au maintien en activité du dentellier. Deux ans plus tôt, le rival caudrésien Holesco (24 millions d’euros fin 2018) avait également fait entrer un client dans son capital, mais dans une position toute différente : restant majoritaire, il affichait alors des bilans rassurants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. À Caudry, Sophie Hallette a renoncé à plusieurs reprises à son déménagement sur son nouveau site de 15 000 m². Le dentellier phare de la place caudrésienne rassemble petit à petit ses outils. Encore tenu par le plan de reprise du fabricant calaisien Codentel il y deux ans, Romain Lescroart, PDG du groupe Holesco (maison mère d’Hallette), rassemble également ses outils dans ses locaux de Marck-en-Calaisis, chez sa filiale Riechers & Marescot (avec Hurtrel, spécialisée dans l’écaillage des dentelles). Holesco avait déjà repris un petit fabricant (Dentelles MD) en 2016. Une préfiguration de la grande concentration attendue à Caudry. Sur place, l’autre rival – Solstiss (17 millions d’euros fin 2018) – connaît une même décrue d’activité. On parle de 30% de production en moins en 2018 sur l’ensemble de la place de Caudry.
Une
teinturerie de trop ?
Des ajustements de personnels sont déjà en cours via le chômage technique. Plus grave encore, Color Biotech, la filiale teinturerie que Solstiss partage avec son confrère Bracq, vit des heures sombres. Baisse de pièces à teindre, en Leavers comme en tricotage. En redressement judiciaire depuis un année, Color Biotech va devoir augmenter ses prix pour sortir de l’ornière alors même que ses clients fabricants sont au plus mal. Desseilles ne teinte quasiment plus rien chez son voisin tandis que d’autres teintent en Italie ou en Autriche, quand ce n’est pas en Asie. À Caudry, la teinturerie La Caudrésienne absorbe toujours les productions de sa maison mère (Holesco) et de ses filiales. Mais même avec le renforcement de ses positions à travers une croissance externe conséquente (Codentel, Hurtrel, Dentelles MD), le groupe de Romain Lescroart reste fragilisé à ce jour. Le sort de Noyon met en veille les deux places. Si Caudry surpasse désormais Calais en termes de production, c’est toujours en Asie que se fabriquent les 80% de la dentelle Leavers, autrefois apanage des deux places sœurs. La dentelle française produit désormais moins de Leavers que le seul japonais Sakae Lace sur ses trois sites de production asiatiques (Chine, Vietnam, Thaïlande). Pour Noyon, son centenaire en 2019 ne tient plus qu’à un fil. Et la filière complète française a de quoi s’inquiéter pour son avenir proche. Seule exception, le fabricant calaisien Storme a fait rentrer deux métiers Leavers dans ses ateliers de la rue de Vic, et poursuit sa croissance avec six embauches ces deux dernières années.