De la souplesse pour une agriculture qui mute
Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, s’est rendu dans la région le 10 septembre dernier. Au programme, la cantine du lycée Albert Châtelet à Douai et une ferme de l’agglomération lilloise où il a rencontré les dirigeants d'un Gaec traditionnel, qui s’est dirigé vers le maraîchage, et une «start-up» qui développe du service aux agriculteurs qui veulent passer au bio.
C’est une grosse partie du travail de tout ministre de l’Agriculture : visiter, arpenter, discuter, écouter et se faire (un peu) houspiller… Julien Denormandie n’a pas failli à la règle. Dans le Gaec formé par Jean-Michel Havez et Jean-Vincent Débuisson, les serres abritent des légumes, quelques fruits et des herbes aromatiques : aubergines, betteraves, melons, basilic, persil… Les débouchés se répartissent entre une douzaine de restaurateurs, quelques marchés de la Métropole ainsi qu’une dizaine de points de vente en circuit court. Encore en agriculture «raisonnée», le Gaec réfléchit à passer au bio. La ferme, qui date de 1874, développe également sur 20 hectares quelques arpents de céréales.
Assurer des débouchés avec des prix
La discussion fut parfois vive. «Monsieur le ministre, moi, je ne suis pas capable de livrer une salade lavée à des cantines scolaires. Et comme il n’ y a plus personne pour laver les légumes dans les cuisines qui ont d’ailleurs quasiment disparues, les écoles de nos villages ne peuvent pas manger la production locale», explique Jean-Michel Havez. La réglementation lui interdit le marché local… «Et vous ne pouvez pas le faire ?» demande le ministre. «La production, c’est un monde ; la transformation, c’est autre chose», répond l’agriculteur. Si amener les fournisseurs des cantines à s’approvisionner localement pourrait être une solution comme à Douai, Julien Denormandie a aussi avancé : «Moins d’intrants, c’est plus de revenus.» Mais si la production baisse et que les prix ne tiennent pas, le risque devient conséquent. Le ministre a fait état des aides : de l’investissement en matériel dans les cuisines des cantines, 200 millions sur la consommation, 380 millions pour la conversion…
Egalement présents lors de la visite ministérielle, Maxime Durand et Stéphane Delabassé ont créé leur entreprise de conseil et services pour l’agriculture, Bio demain. «On accompagne les entreprises agricoles à passer au bio. Mais on peut aussi s’occuper de leur logistique, aider à l’étiquetage», expliquent ces étudiants entrepreneurs qui sortent de l’Ecole centrale et qui lèvent 1,2 million d’euros. Avec une dizaine de salariés, ils se développent dans la région et en Ile-de-France. «Nous avons des magasins partenaires où nos clients peuvent vendre leurs produits. Ce qui nous motive, c’est de faire payer le bon prix pour le bon produit» ajoutent-ils. Le ministre de l’Agriculture approuve : «Le problème, c’est le prix.» Et donc la rémunération des producteurs.
«Ça ne peut pas aller plus vite ?»
«Nous travaillons sur la réforme des retraites des agriculteurs. L’idée, c’est d’avoir un minimum de 85% du Smic. La loi sur ces retraites arrivera au maximum en 2022», plaide le ministre. « J’ai travaillé 54 ans, j’ai 560 euros de retraite, et j’aide encore. Ça ne peut pas aller plus vite ?» demande la mère d’un agriculteur. Plus loin, un éleveur réclame plus de rapidité dans les démarches administratives : «Ça fait deux ans et demi qu’on attend l’aide à l’installation pour notre fils et notre neveu !» Le ministre, sans ambages, lance une idée : «On doit aider sur le foncier, c’est certain. Mais est-ce que ça vous irait si les terres ne vous appartenaient pas ? Si c’était les collectivités territoriales ou la Caisse des dépôts?» Sceptiques sans être fermés, les agriculteurs demandent de fortes garanties d’exploitation : « Il faudrait qu’on soit sûrs de pouvoir la travailler très longtemps !».