Dans les villes moyennes, l’immobilier résiste
En 2020, les transactions immobilières dans les villes moyennes, aidées par le programme Action cœur de ville, ont été plus nombreuses qu’en 2019, à rebours du reste du pays. Il serait pourtant présomptueux d’en déduire que la dévitalisation urbaine appartiendrait au passé...
Une «revanche des villes moyennes» ? Rollon Mouchel-Blaisot, préfet et directeur du programme Action cœur de ville, mis en place en 2018 pour revitaliser 222 villes moyennes, préfère parler de «phase de consolidation». Il n’empêche que les chiffres paraissent encourageants. En 2020, dans les agglomérations concernées par le programme Action cœur de ville, près de 300 000 ventes immobilières ont été enregistrées, soit 13 000 de plus qu’en 2019.
Dans le même temps, en pleine pandémie, le marché national reculait de 4% en volume. Dans les villes moyennes, «le marché se montre particulièrement résilient», commente Peggy Montesinos, notaire à Remiremont (Vosges) et membre du Conseil supérieur du notariat (CSN) en charge de la promotion de l’expertise immobilière.
Des prix attractifs
La carte des transactions, établie à partir des données recueillies par les notaires et l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), montre que les ventes progressent dans une majorité de villes, en particulier dans les régions littorales et en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais pas seulement.
Dans des localités aussi diverses que Morlaix, sur la côte finistérienne, Longwy, en Lorraine industrielle, Briançon, dans les Alpes du sud, ou Lens-Liévin, dans l’ancien bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais, le nombre de transactions a gagné plus de 20% en 2020. Dans certaines villes, le marché s’était réveillé dès 2019. «À Moulins, on est passé de 800 ventes en 2018 à 4 000 en 2020. À Sète, de 3 600 à 5 900», observe Rollon Mouchel-Blaisot. De fait, «l’augmentation en volume constitue un indicateur assez fiable de l’attractivité», assure Peggy Montesinos.
Les prix des appartements connaissent également une progression, passant de 1 294 euros le mètre carré en 2019 à 1 385 euros en 2020, soit +7%. Il s’agit bien sûr d’une moyenne qui cache de fortes disparités régionales, mais Rollon Mouchel-Blaisot y voit deux motifs de satisfaction.
D’abord, l’immobilier des villes moyennes demeure bien moins cher que celui des grandes villes, et plus encore que celui de l’Île-de-France. En outre, cette hausse modeste «a permis de stopper l’érosion de la valeur des biens, qui contribuait au sentiment d’abandon», affirme-t-il, utilisant sciemment le passé. La relative hausse des prix donne aux ménages qui investissent «la garantie que leur bien va prendre de la valeur», dit-il.
Une hausse qui profite aux villes comme à leur périphérie
Pour le responsable du programme Action cœur de ville, l’immobilier des villes moyennes est «un marché d’usage, non spéculatif, à l’inverse de celui des très grandes métropoles». Les notaires et l’ANCT ont observé si ce frémissement se manifeste davantage dans les cœurs d’agglomération, marqués par la dévitalisation commerciale, la construction des zones périphériques et la baisse de la population, ou dans les communes périphériques. «L’objectif du programme consiste à encourager une juste proximité, à stopper l’étalement urbain et à lutter contre l’artificialisation des sols», rappelle Rollon Mouchel-Blaisot.
Or, dans un tiers des villes concernées, le marché immobilier de la ville-centre «est plus dynamique que celui de la périphérie», observent les notaires et l’ANCT. Dans environ un quart des villes, la dynamique est similaire dans l’ensemble de l’agglomération. Et dans le reste des agglomérations, soit 40% environ, c’est la périphérie qui mène le mouvement. Mais, «il y a quelques années, la dynamique de l’étalement urbain aurait été bien plus forte», commente le directeur du programme.
Ces chiffres suffisent-ils à accréditer la version de «l’exode urbain» des métropoles vers les villes «à taille humaine» ? Rollon Mouchel-Blaisot se montre prudent : «il ne faut pas surinterpréter 2020, d’autant que la situation de départ était très hétérogène». Toutefois, une autre carte diffusée par l’ANCT montre l’appétence des 12 millions de Franciliens pour les villes moyennes.
Dans plusieurs départements proches de l’Île-de-France, l’Yonne, l’Eure ou l’Orne, la part des acquéreurs franciliens a progressé de plus de 20% en un an. En Normandie ou dans le centre-Val-de-Loire, et jusque dans la Creuse ou le Lot, cette proportion est en hausse.
Dans certaines régions de destination, l’arrivée massive des habitants des grandes villes peut causer des tensions. On le voit notamment en Bretagne, où un parti politique régionaliste a proposé un «statut de résident», de façon à limiter l’acquisition des biens immobiliers par des télétravailleurs franciliens. Le responsable du programme Action cœur de ville assure avoir pris en considération ce risque.
«C’est pour cette raison que les villes remettent sur le marché des biens jusqu’alors vacants», dit-il. Dans les villes moyennes, la forte proportion de logements anciens vides constitue une opportunité à saisir. Les fonds d’Action cœur de ville financent, en outre, l’accession sociale à la propriété.
Mais aussi vertueux qu’il puisse paraître, ce programme, doté de 5 milliards d’euros en cinq ans, ne remplit pas ses promesses. En juin 2020, des étudiants en journalisme à Strasbourg avaient enquêté sur les villes aidées par l’État. Selon eux, 65 des 80 villes touchées par une vacance commerciale de plus de 10% avaient continué à étendre leur surface commerciale périphérique. Les étudiants mettaient en cause la responsabilité et le «laisser-faire» des élus locaux, des commissions départementales d’aménagement et des préfets. Face à cette désinvolture, l’exode urbain ne suffira pas à revitaliser les villes moyennes...