Dans l'Ouest américain, le combat d'une ville contre la réparation d'un canal

Pour la petite ville de Fernley dans l'ouest des Etats-Unis, réparer un vieux canal à l'origine d'une grave inondation aurait pu sembler être une évidence. Mais quand l'Etat fédéral a voulu entreprendre ces travaux...

Des ouvriers sur le chantier du canal Truckee, le 30 juin 2023 à Fernley, dans le Nevada © Andri Tambunan
Des ouvriers sur le chantier du canal Truckee, le 30 juin 2023 à Fernley, dans le Nevada © Andri Tambunan

Pour la petite ville de Fernley dans l'ouest des Etats-Unis, réparer un vieux canal à l'origine d'une grave inondation aurait pu sembler être une évidence. Mais quand l'Etat fédéral a voulu entreprendre ces travaux, les habitants ont entamé des poursuites judiciaires.

La situation illustre la question épineuse de la gestion de l'eau dans l'Ouest américain. 

Car cette ville, nichée dans les terres désertiques du Nevada, assure que l'eau qui s'exfiltre du canal décrépit est essentielle à sa survie.

Les habitants avancent ainsi qu'un nouveau revêtement en béton, qui empêcherait de dangereuses ruptures à l'avenir, assécherait les puits desquels ils dépendent depuis des décennies.

"Ce serait comme aller aux urgences avec une cheville cassée et que la solution du docteur soit d'amputer la jambe", lance l'avocat David Rigdon, qui représente les habitants de Fernley.

"Le remède est pire que la maladie", ajoute-t-il.

Personne ne conteste pour autant le besoin d'effectuer des réparations au canal Truckee.

Ses digues ont rompu en 2008, inondant des centaines de maisons. 

L'opérateur du canal avait été alors poursuivi pour négligence et un accord financier a été conclu à hauteur de 20 millions de dollars.

Terres devenues luxuriantes

L'Etat fédéral veut procéder aux réparations de manière urgente pour des raisons de sécurité, mais également parce qu'il affirme que la ville n'est pas en droit de s'approprier l'eau qui s'en échappe.

En retour, les habitants et les agriculteurs de Fernley arguent de la raison même de l'existence historique du canal.

Il y a près de 120 ans, le canal Truckee faisait partie d'un projet d'envergure du président Theodore Roosevelt, qui souhaitait irriguer l'Ouest américain.

Les colons étaient incités à s'installer dans des régions autrefois arides, et d'y cultiver des terres devenues luxuriantes.

Le canal qui traverse Fernley prend sa source dans le lac Tahoe et irrigue ainsi de vastes champs de luzerne et de melons.

La ville de Fernley elle-même a été fondée le long du canal en 1904, au moment où fermes et ranchs y poussaient.

L'eau coulant du canal pour s'infiltrer dans le sol a depuis créé une robuste nappe phréatique permettant à Fernley de se développer et d'atteindre désormais près de 25.000 habitants.

Planche de salut

A présent, Fernley se retrouve à lutter contre la même agence fédérale qui a construit le canal il y a plus d'un siècle, le Bureau de l'aménagement (BoR).

"Ce sont eux qui nous coupent l'herbe sous le pied", affirme David Stix, un éleveur local.

"Ils nous privent de notre planche de salut", estime-t-il.

Usant d'un ressort légal nommé "estoppel", les avocats des habitants avancent que si ceux-ci ont été amenés à s'appuyer sur une ressource, telle que l'eau, alors l'entité qui l'a fournie au départ n'est pas en droit de la retirer ensuite.

L'avocat David Rigdon concède tout de même que la situation est "assez unique".

Sollicité par l'AFP, le BoR a déclaré qu'il ne ferait pas de commentaire tant que l'affaire suivait son cours.

Malgré les tentatives des habitants de Fernley de retarder l'échéance, les travaux pour apposer un nouveau revêtement sont déjà bien entamés, et le canal est resté vide depuis plusieurs mois.

Sous terre, les niveaux d'eau ont commencé à diminuer.

"Le projet doit se finir - nous devons avoir de nouveau de l'eau dans le canal Truckee, il faut avancer", estime David Stix.

Mais les habitants aimeraient que les plans du nouveau canal soient modifiés afin qu'il puisse alimenter la nappe phréatique, comme avant.

Sinon, "le revêtement du canal détruira notre environnement", se désole l'éleveur de 58 ans, "peut-être pas de mon vivant, mais de celui de mes enfants".

"Ce sera dévastateur."

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