Convaincre les élusà agir immédiatement

Nicolas Bouzou ne mâche pas ses mots et répond clairement à l’unique question du Club Trigone : oui, la crise va durer longtemps si les réactions du monde politique continuent à être mièvres et lentes. C’est une question de mois et la récente menace de dégradation de la note française par Moody’s rend ce pronostic particulièrement funeste.

Seconde visite dans notre région de Nicolas Bouzou, écrivain, consultant sur Canal + et France info (entre autres), conférencier, enseignant : bref, l’homme que l’on écoute en ce moment. La veille de l’annonce de mise sous surveillance de la France par Moody’s, il prédisait le pire dans les salons de Septentrion. De fait, le compte à rebours a commencé. Moody’s dira dans un mois ce qu’il en est et deux mois plus tard la machine infernale se mettra en route, à commencer par les taux d’intérêt. Le groupe des “très mauvais” pays (la Grèce et, à un degré moindre, le Portugal) emprunte son argent à 20%. La France – pour l’instant avec l’Allemagne et le Benelux dans le peloton des “bons élèves” – emprunte à 2 ou 3%. Mais si elle rejoignait les “mauvais” (l’Italie, l’Espagne), le taux passerait à 7%. Nicolas Bouzou trouve tout de même des raisons de rester optimiste car, comme disent les Chinois (dont on a beaucoup parlé lors de cette soirée), toute crise est le moment de redynamiser et de trouver de nouvellessolutions. Ce que le conférencier appelle l’obligation de réformer : se contenter de colmater les brèches sans toucher au système mondial, qui menace d’être victime d’une crise systémique comme certains le prétendent déjà, serait catastrophique. “Et pour l’instant, déplore-t-il, c’est ce qui se passe car les politiques, français en particulier, ne songent qu’à se faire réélire. Or, en 2014, fin d’une série d’élections, il sera trop tard pour empêcher les pays émergents de remettre de l’ordre chez nous à leur façon, c’est-à-dire en imposant à nos pays en état de faiblesse et de désorganisation leurs conditions politiques et économiques. Nous serions alors de simples satellites, sachant aussi que dans 50 ans, Chine, Inde et Brésil – pour ne citer que les principaux – connaîtront à leur tour les mêmes maux. Ainsi est fait le système.”

Tout le monde ment !Pour ce qui est du mécanisme de cette crise, Nicolas Bouzou reste dans le classique. Une crise de l’endettement qui n’a pas empêché certains pays comme la Suède de dégager des excédents publics… La France cumule depuis 30 ans des budgets en déséquilibre, une vraie récession – n’en déplaise à certains – et des effets de ciseaux avec différents plans de relance. Même les “gros” sont touchés : USA, Japon, etc. Ce qui différencie les pays, c’est l’activité, la croissance, les recettes donc. France et Allemagne sont au coude à coude en matière d’endettement public (85% pour nous, 80% pour eux) mais à l’arrivée, les Français sont toujours derrière. En découlent des niveaux de solvabilité différents avec des variantes : l’Espagne n’a pas un endettement pharamineux mais n’a pas non plus de grosses capacités de développement.

Conséquence ? Le bon fonctionnement bancaire n’est plus. Les créanciers des Etats, explique Nicolas Bouzou, ce sont les banques et les compagnies d’assurances. Les obligations, les banques ont été forcées d’en acheter. Elles ont beaucoup prêté aux Etats et doivent aujourd’hui déprécier leurs actifs. Leurs capitaux propres sont très faibles, 2 à 3% pas plus. Elles empruntent à court terme et remboursent à long terme, mais ça devient compliqué. Car il leur faut être solvables. Or, les banques ont des créances qui ne valent rien ou presque, dont les fameux bons d’Etat : leur valeur s’est effondrée. Les voilà, les dépréciations d’actifs. Il faut donc recapitaliser mais ça se passe dans une joyeuse cacophonie car ceux qui disent cela aujourd’hui haussaient les épaules hier ou disaient carrément le contraire. Le problème, c’est que tout le monde ment ! Je pense néanmoins que la situation n’est pas encore dramatique, les banques françaises peuvent s’en sortir sauf si le système en globalité s’effondre. Or, les liquidités, il faut aller les chercher tous les jours. Les banques chinoises ne prêtent plus aux banques américaines, donc il y aura baisse du crédit d’ici peu, avec toutes les conséquences économiques.”

Sans courage politique, rien ne se fera. Des solutions économiques, il y en a plein selon lui, mais sans le courage des élus, les conséquences vont très vite se manifester. “Les baisses des déficits publics, dit-il, ce n’est pas un choix politique. C’est une évidence, ça s’impose à tous. Ce n’est plus nous, les Occidentaux, européens ou non, qui décidons du calendrier des remboursements aux prêteurs asiatiques. On a perdu notre indépendance. Le déficit de la Sécurité sociale, c’est 35 milliards d’euros : c’est énorme. Mais ce n’est pas la Chine qui l’a décidé. On aura donc les deux : augmentation des impôts et baisse des dépenses publiques. Agir uniquement sur le premier levier n’est pas suffisant, et les dépenses publiques continuent d’augmenter en France avec +3,5% en fonctionnement de l’Etat ! Cela ne peut plus durer !

Si on perd les 3 A, on coule !Les déficits sont résorbables via deux méthodes. La précipitation style coup de rabot sur les niches fiscales : c’est “l’illusion de la rigueur” selon Nicolas Bouzou. Ou alors –la bonne manière – : on réforme sérieusement, on agit sur les retraites, l’assurance maladie, structurellement cette fois. Le Canada, la Suède, l’Allemagne l’ont fait. “Mais, précise NicolasBouzou, il faudra avoir le courage de se heurter au dogme de l’avantage acquis, remettre en cause le départ à la retraite obligatoire à 62 ans, dérembourser les médicaments inefficaces.Si on perd les 3 A, on coule ! La Grèce a vu ses dépenses de santé chuter de – 30%. Dans cinq ans, le FMI sera présidé par un Chinois. Il faudra une Europe fédérale mais elle sera quand même sous tutelle chinoise. Ces perspectives s’imposent, ce ne sont pas des choix politiques. Or, les marges de manoeuvre sont très étroites.” C’est sur une fiscalité repensée que s’appuie Nicolas Bouzou, mais aussi sur les capacités à inventer. “Pour sa primaire, le PS a demandé 1 euro à chaque votant. Voilà de la débrouille réjouissante. Les politiques vont devoir raisonner en argent public constant, c’est bien. On ne peut plus dévaluer notre monnaie, c’est-à-dire rechercher à l’exportation ce qu’on perd chez soi. La BCE doit impérativement intervenir sur le marché des changes.” “L’histoire de l’Europe est en train de s’accélérer”. Le manque de fédéralisme économique, a fortiori politique, est un “délit de démocratie” pour lui, ainsi que la règle “stupide” (sic) de l’unanimité plutôt que celle de la majorité. “Pour avoir l’unanimité de 27 pays, dit-il, il faut dix ans. Là, vu ce qui se passe, il faudra un mois ! Il faut changer les traités. Si la Grèce ne peut faire plus et nous le dit clairement, c’est nous qui sommes fichus d’ici un an maximum. L’histoire de l’Europe est en train de s’accélérer.” La question peut sembler saugrenue mais comment assurer une croissance vigoureuse en France ? Nicolas Bouzou reconnaît que le gouvernement a fait des choses positives (plan de relance, grand emprunt…) mais l’impact sur l’économie est à 15 ans. Par exemple, les pôles de compétitivité. Il faut raisonner à court terme aujourd’hui : “Agir sur l’euro, c’est immédiat, sur des dérèglementations aussi. Faire vite mais il faut le courage politique. Aider les PME à grandir, instaurer une TVA sociale. Il vaut mieux taxer la consommation que l’emploi. Il y a des mesures à prendre pour la croissance ; les innovations technologiques sont capitales. Que les entreprises prennent le relais de ce que ne fait plus l’Etat n’est pas mauvais. Que les travaux publics songent à diversifier leur CA. Entre les riches et les pauvres, le fossé se creuse en raison des revenus et de la redistribution de la richesse. On peut donc parler du nouvel âge des entreprises, les gammes moyennes disparaissent. Il faudra donc des banques de détail pour toutes les tranches de revenus, y compris les revenus instables : c’est la radicalisation des gammes.