Comment mener l’adaptationà la réforme ?

L’audience de rentrée de la cour d’appel de Douai est un moment délicat de l’année judiciaire puisqu’il faut y dire ce qui fonctionne, ce qui doit être amélioré, énumérer les blocages et les manques, en particulier de moyens. Cet exercice périlleux ne se résume pas entre le procureur de la République, Olivier de Baynast, et la première présidente, Mme Dominique Lottin, à un échange dialectique mais de faits. Finalement, la cour d’appel est nécessairement dans l’application de la réforme, elle avance mais se heurte à des obstacles de fond et des situations floues.

Avant toute chose, non seulement le maintien de la cour d’appel à Douai est acquis mais elle s’étend. Mme la première présidente Dominique Lottin dément les rumeurs de départ vers la Métropole, engendrées par le projet métropolitain d’une nouvelle cité judiciaire : “En 2011, le ministère a investi plusieurs millions dans le projet de construction du Pied-de-la- Tour côté place du Marchéaux- Poissons, extension qui permettra de bénéficier d’une salle des pas perdus, de deux nouvelles salles d’audience et d’une salle de restauration.” Le 25 janvier, à Paris, le jury choisira un maître d’oeuvre pour une livraison au premier semestre 2015.

La crise pour tout le monde. La qualité des professionnels du droit de la région, depuis quatre mois le procureur général l’a constatée partout, il y ajoute tous les acteurs de la justice et du droit, en particulier ceux issus des services de l’Etat, les finances publiques et les douanes, parfois réunies au sein du GIR. Pour le reste, il constate que l’exercice de l’action publique, donc l’application de la loi, est lui aussi frappé par la crise. Postes vacants dans le greffe, difficulté d’attirer et de fidéliser des magistrats dans certains ressorts, nombre (naturel) de congés maternité dû à des effectifs jeunes, inconfort matériel à Douai, Valenciennes, Béthune et Boulogne, même avec l’espoir de travaux à venir. Malgré cela, les différentes inspections de fonctionnement récentes, menées à Douai et Béthune, montrent de “remarquables performances et du dévouement”. L’activité des juridictions ne fléchit pas (voir encadré), le bilan 2011 au pénal est “impressionnant” et “les délais raisonnables de jugements respectés”.

La réforme appliquée dans l’urgence. L’année 2011 restera celle d’une réforme tous azimuts. La garde à vue, la refonte de la médecine légale, des procédures pénales rapides (ordonnances pénales et comparutions sur reconnaissance de culpabilité), l’exécution des peines ont abouti à Douai à une “application dans l’urgence des nouveaux textes et des circulaires (deux par mois) : quel travail !” s’est exclamé le procureur général. C’est sur le terrain que se met en place la réforme et c’est là qu’il faut l’apprécier. Oli-vier de Baynast a sélectionné quelques chapitres.

La justice des mineurs. Dans une région jeune qui souffre de la crise, du chômage et de la précarité, mais qui a aussi d’énormes potentialités, le rôle des parquets a voulu privilégier, avec tous les autres acteurs, la prévention et cela devra s’accentuer en 2012 autour de quelques thèmes : l’absentéisme scolaire, la drogue et l’alcool. Et pour cela le procureur veut un rapprochement justice/Education nationale, procureurs/inspecteurs d’académie.

La prison. La région comporte 11 établissements pénitentiaires dont 5 maisons d’arrêt pour 3 700 détenus, un record. La surpopulation atteint 228% à Béthune, 200% à Valenciennes. Par ailleurs, un mouvement de rénovation- création est en marche : Loos-lez-Lille est remplacé par Lille-Sequedin et Annoeullin. D’autres alternatives à l’emprisonnement seront mises en route : le bracelet électronique, la surveillance électronique en fin de peine et la semi-liberté. Et sur le sujet sensible des libérations et récidives, le procureur s’est voulu solennel : “Que l’on cesse de nous tomber dessus à bras raccourcis à chaque fois qu’un délinquant récidive, surtout quand notre société ne sait pas se doter d’autant de médecins psychiatres qu’elle devrait et dont nous avons besoin pour nous éclairer sur la personnalité des condamnés.” Il souhaite donc que l’on développe en prison le travail et l’enseignement et que les moyens d’exécution des peines soient reconnus comme prioritaires. Qu’un retour à une certaine qualité de vie soit étudié par les magistrats avec les directeurs d’établissements et que les compétences entre les personnels soient enfin précisées. Et de citer en exemple l’établissement pour mineurs de Quiévrechain.

Protection de l’environnement : s’attendre à des procédures. “Il est temps de nous ressaisir” proclame le procureur qui dénonce ces “délicates zones humides qui régressent progressivement pour laisser place à ces ignobles centres commerciaux à l’américaine”. Là, aussi les procureurs vont se rapprocher des municipalités, des services d’inspection technique, etc., et menacent d’avoir recours au droit pénal. Exemple d’application : la remise en état des lieux dégradés ou la suspension de peine en attendant la mise en conformité, surtout pour les stations d’épuration. Ces dossiers pourraient donner lieu bientôt à des contentieux comme récemment à Amiens.

La dimension internationale et européenne est essentielle aujourd’hui. En 2011, la cour d’appel de Douai a été requise pour interpeller 218 personnes sur mandat d’arrêt européen, 80 enquêtes diligentées sur commissions rogatoires internationales dont 52 européennes. Un groupe de travail efficace fonctionne avec la Belgique mais il reste à faire mieux avec les autres Etats membres. La délinquance transfrontalière explose. Il faudra donc coopérer enfin plus efficacement avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Des progrès ont été réalisés avec l’Eurojust, mandat d’arrêt européen, et la coopération entre magistrats de tous les pays. A Lille, une structure très performante (“la meilleure de France” selon le procureur général) – la JIRS – fonctionne. Et avec le TGI de Boulogne, un rapprochement avec la Grande-Bretagne va s’effectuer au second semestre 2012. Enfin, des moyens nouveaux seront employés : utiliser l’Agence de recouvrement des avoirs criminels notamment.