Comment anticiper les difficultés liées à la pénurie des matières premières ?

Depuis mars 2020 et le début de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les entreprises françaises sont confrontées à des pénuries d’approvisionnement qui engendrent une augmentation significative des coûts et un allongement des délais de livraison. Les acheteurs publics (État, Collectivités territoriales, Hôpitaux, etc.) ont été incités par la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) de Bercy à appréhender les conséquences de ce phénomène. Les préconisations formulées sont regroupées dans une fiche de synthèse qui a été publiée en juillet 2021. Cette fiche a été mise à jour le 18 février dernier(1), ce qui nous permet de faire un point sur les recommandations qui peuvent être faites aux entreprises.


Face à la flambée des prix et au risque de pénurie de matières premières, Bercy invite les acheteurs publics à adapter leurs pratiques à la situation.
Face à la flambée des prix et au risque de pénurie de matières premières, Bercy invite les acheteurs publics à adapter leurs pratiques à la situation.

Si la fiche technique de la DAJ s’adresse aux acheteurs publics pour leur fournir conseils et recommandations, elle n’en demeure pas moins un outil utile aux entreprises pour préparer et anticiper les échanges avec leur client public et les demandes qu’elles souhaiteraient formuler. En effet, les marchés publics sont des contrats d'adhésion c'est-à-dire que les conditions d'exécution de ces contrats sont définies «à l'avance» lors de la phase de consultation des entreprises et sont en principe intangibles. Les documents contractuels des marchés (CCAP, CCTP et/ou CCAG) définissent les conditions de variation des prix ou des délais d'exécution des prestations dévolues avec le cas échéant une marge d’évolution. Pour autant, en raison de son ampleur, la pénurie des matières premières sort du champ des conditions d'exécution prévisibles qui ont pu être définies par l’acheteur public et appréhendé par un candidat au moment de la remise de son offre.


Au cas par cas

Aussi, les entreprises peuvent être confrontées, au moment où elles sont tenues d’exécuter les prestations (parfois plusieurs mois après l’attribution du marché), à une hausse du prix des matières premières et/ou un allongement des délais de fourniture modifiant irrémédiablement l’équilibre économique du marché. Les pénuries peuvent même conduire pour certains matériaux à ce que l’augmentation corresponde à 3 ou 4 fois le prix en vigueur au moment de la remise des offres ce qui conduirait l’entreprise à devoir «payer pour travailler.» La fiche de synthèse de la DAJ invite les acheteurs publics à faire preuve d’ouverture et à prendre en compte les difficultés des entreprises en la matière, formulant des recommandations qui doivent permettre de lever ou d’éviter les difficultés en ouvrant notamment le champ à la discussion. Toutefois, il est évident que chaque situation s’apprécie au cas par cas et que rien n’est acquis puisque les adaptations ne sont pas automatiques et doivent être sollicitées. Dans cette hypothèse, les maîtres-mots sont «honnêteté» et «transparence» car les acheteurs publics ne sont pas obligés d’accepter de modifier les conditions d’exécution du contrat. Le risque repose principalement sur les entreprises.


Exigence de transparence

Il est donc inutile voire dangereux de dissimuler un allongement de délai de livraison, une indisponibilité pour une durée indéterminée de matériaux, et encore moins de mentir sur le prix d’achat de matières ou d’un produit de substitution. L’exigence de transparence conduit nécessairement à devoir compromettre le sacro-saint «secret des affaires» en divulguant par exemple la marge financière envisagée au moment de la remise de son offre ou les conditions d’achat avantageuses qui avaient pu être consenties par un fournisseur. En effet, il sera plus facile de solliciter une indemnité si on démontre à l’acheteur public, preuve à l’appui (ex : des factures) l’incidence sur l’offre initiale de la pénurie de matériaux. Il sera aussi plus facile d’être relevé des pénalités de retard ou de bénéficier de la conclusion d’un avenant de prolongation de délai, si on transmet un bon de commande et/des échanges avec son fournisseur défaillant. En tout état de cause, l’élément rassurant réside dans le fait que les acheteurs publics sont incités à anticiper aujourd’hui les conséquences d’un risque de pénurie en incluant plus de flexibilité dans l’exécution technique et financière des marchés. Après plusieurs mois d’incertitudes, on peut affirmer que l’on va dans le bon sens.

(1) https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/crisesanitaire/FT-P%C3%A9nurie_mati%C3%A8res_premi%C3%A8res.pdf?v=1645207702

José-Manuel Oliveira

Avocat au département droit public, cabinet Fidal