Comment accompagner et réguler le télétravail ?
Repenser l’organisation du travail, le management et la relation du salarié à l’entreprise, déployer des outils de suivi de la relation de travail, renouveler le dialogue social… Le point sur le nécessaire accompagnement du développement du télétravail avec Bruno Mettling, auteur du rapport "Transformation numérique et vie au travail" remis au ministère du Travail en 2015.
« Il faut voir dans le développement du télétravail une occasion de repenser l’organisation du travail. » Tel est le premier message que Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange, aujourd’hui président du cabinet de conseil Topics, a formulé dans le cadre d’une conférence sur les “Droits et libertés numériques au travail”, organisée le 9 novembre dernier par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). Or, selon lui, on peut observer « deux postures » de la part des entreprises. « Il y a celles pour qui l’enjeu numéro un est de boucler rapidement une négociation sociale pour définir un nombre de jours en télétravail et un nombre de jours en présentiel », et qui ont ainsi « l’impression d’avoir avancé sur la question du télétravail ». Alors que d’autres entreprises « y voient l’occasion de repenser l’organisation du travail pour imaginer les situations dans lesquelles on a le plus intérêt à laisser se développer le télétravail et celles pour lesquelles le présentiel est requis », et « cette approche en termes d’organisation du travail », pensée « par activité », est « beaucoup plus riche ».
Le management d’accompagnement
Deuxième message : pour être bénéfique pour les salariés et pour l’entreprise, le télétravail nécessite de repenser le management traditionnel. « Les premières études portant sur ce qui s’est passé dans les entreprises [ndlr, pendant la première période de confinement] montrent que cela a été assez violent pour les managers » parce que « le management traditionnel en mode “commande et contrôle” a créé des tensions supplémentaires et fait perdre beaucoup de repères aux collaborateurs », alors que « ceux qui avaient déjà développé un management en mode “accompagnement” se sont sentis plus à l’aise », a expliqué Bruno Mettling.
Un autre mode de pilotage
Troisième message : la bonne approche du télétravail nécessite « un nouveau mode de pilotage de la relation entre l’entreprise et les salariés ». « Nous sommes en train de passer d’un pilotage basé sur le présentéisme à un pilotage basé sur le “delivery” », c’est-à-dire que le salarié s’engage « à fournir une prestation dans un délai donné » et « la manière dont il s’organise relève de son autonomie », « un peu comme entre des consultants et une entreprise ». Les difficultés rencontrées aujourd’hui proviennent notamment « du passage d’un mode de pilotage à l’autre », a-t-il expliqué.
Se doter des bons outils pour assurer le suivi
Quatrième conseil : il faut mettre à disposition des télétravailleurs et des managers des outils performants pour assurer le suivi de la relation de travail à distance. « Le fichier Excel pour assurer le suivi des salariés en télétravail est un cauchemar pour le manager », alors qu’il existe aujourd’hui « des applications collaboratives qui permettent au télétravailleur de se déclarer en situation de télétravail en un clic et au manager de valider d’un clic », ainsi que « des applications de gestion de l’espace de travail qui permettent de réserver un bureau et de savoir qui est là et dans quel bureau ».
Autres outils indispensables : ceux « de suivi de la charge de travail, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’excès, détecter les situations et les durées de connexion anormales, identifier les évolutions problématiques et les dérapages ». Une préoccupation directement liée au droit à la déconnexion, introduit par la loi El Khomri de 2016. Et parce que « derrière ces outils de suivi individuel il y a tous les risques associés au “flicage” », il faut impérativement que « le dialogue social et la régulation sociale soient placés au cœur de leur mise en œuvre ».
Repenser le dialogue social à l’heure du télétravail
Autre risque auquel les partenaires sociaux doivent être très vigilants : « L’affaiblissement du collectif qui peut résulter d’une situation de télétravail généralisée demain », a souligné Bruno Mettling. C’est pourquoi les services des Ressources humaines doivent réussir à « maintenir un lien de proximité, sous une forme qui reste à déterminer, avec des outils d’écoute et de captation des sentiments des collaborateurs », et il faut que « les organisations syndicales puissent continuer de s’adresser aux collaborateurs à distance ». Il convient donc de « repenser le dialogue social à l’heure du télétravail ».
Jusqu’où l’employeur peut-il aller en matière de contrôle de l’activité de son salarié ?
« Le contrôle de l’employeur sur le travail du salarié est tout à fait légitime, c’est une contrepartie absolument normale du contrat de travail », mais « ce pouvoir de contrôle n’est pas sans limite », a rappelé Éric Delisle, chef du service des questions sociales et RH de la Cnil. Tout d’abord, « il doit être proportionné à l’objectif poursuivi et ne pas porter une atteinte excessive aux droits et libertés de ses salariés », et « ces principes s’appliquent bien entendu dans le cadre du télétravail ». Ensuite, le pouvoir de contrôle de l’employeur doit tenir compte de « l’obligation de loyauté » : « Il ne peut y avoir de contrôle de l’activité des salariés sans information, sans transparence, à l’égard des salariés et via la concertation des instances représentatives du personnel. »